Créé le: 23.08.2017
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Angèle

Entendu au marché... 2017

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Il y a des anges dans nos vies, parmi eux, plus différents les uns que les autres, il y a les anges éternels.
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Angèle

C’est l’histoire d’un ange, d’un tout petit. Il n’a que cinq mois sur son chronomètre de vie.

Il aime rire et observer les gens. De ses doigts potelés il explore le monde, de ses yeux curieux il le découvre. Il adore sentir de nouvelles effluves lui titiller le nez, de nouvelles matières le chatouiller. Il prend peu à peu connaissance de son corps, apprend à l’utiliser. Il s’extasie devant la vie.

 

Ce matin il s’en va au marché, porté par son carrosse roulant. Ses parents ont besoin de verdure fraîche, de pain nourrissant et de fromages appétissants. Et puis d’échanges, d’échanges avec les gens. Des échanges de sourires, d’amour, d’histoires. Ils ont besoin d’être avec des amis, de parler de la pluie et du beau temps. Ils ont besoin de sortir, de sentir le vent, de longer une rue. C’est qu’ils sont souvent dedans. Ils travaillent, et puis ils s’occupent de l’enfant. Ils tapotent des mots sur des claviers des heures durant, des chiffres plein la tête. C’est épuisant. D’ailleurs, ils se sentent fatigués et ont les yeux cernés.

 

Bien sûr, le petit ange est un ange, mais qui a dit que les anges ne criaient pas ? Qui a dit qu’il n’y avait ni pleurs, ni nuits blanches ? Il faut changer les couches, ranger les jouets, surveiller. Nourrir.

Ils l’ont appelé Angèle, je ne sais pas si c’est une coïncidence. Les parents ont hésité très longtemps sur le prénom, mais quand elle est née c’était évident. Ça lui va comme un gant.

 

La maman aimerait être présente plus souvent, mais les femmes d’aujourd’hui, elles travaillent. Elle a des contrats à remplir, de l’argent à gagner. Son compagnon lui aussi passe la plupart de son temps derrière un écran. Il veut pouvoir payer son logement !

 

Ils ont un appartement très grand, très bien placé et très moderne. Le loyer n’est pas donné, mais puisque les deux sont salariés, c’est suffisant. Ils aiment bien l’endroit, et puis c’est pratique pour inviter des gens, même si ça fait un bout de temps qu’ils n’ont plus envoyé d’invitations. Leurs journées sont trop chargées, et leurs soirées remplies de papa/maman.

 

Lorsque les deux ne sont pas là, c’est à dire du lundi au vendredi, de sept à dix-huit heures, le petit ange est gardé par une autre maman. Une maman de jour.

Les fins de semaines, elles sont planifiées assez strictement. Disons que Bertrand n’a congé que le samedi, alors il va au marché avec sa famille et le reste du temps il se repose dans un lit. Le sommeil lui manque.

Marie elle, après les achats, elle entre dans un petit café et profite d’Angèle. Elle la prend enfin dans ses bras et se relâche, laisse la pression du boulot derrière elle. Dans ces moments-là elle est heureuse, parce qu’elle sait que le lendemain est un dimanche. Qu’elle a le temps, qu’elle ne doit pas courir. 

 

Marie

Parfois, une amie la rejoint. C’est plutôt rare, parce que ses amies à elle préfèrent aller dans les magasins acheter leur nourriture ; c’est plus facile. En fait, elle ne sait pas très bien pourquoi elle ne suit pas leur exemple. Elle a besoin de sortir, d’essayer d’être simple, d’avoir du contact humain. Ça lui fait du bien.

Dans son monde à elle, elle commence à se sentir à l’étroit. Son bureau, petit, noir et blanc, ses collègues sérieux. Son chignon parfait, ses habits gris et droits, son ordinateur. Elle est solitaire parmi ses dossiers, en fait elle ne connaît personne à son travail. Et même si elle arrivait à nouer contact, ils ne se verraient qu’à la pause, pendant une heure trente-cinq. Tout est contrôlé, son emploi du temps fixé à la minute près.

 

Avant, ça ne la dérangeait pas. C’était rassurant. Et maintenant… c’est comme si ça lui coupait la respiration. Elle a besoin de changement. Mais comment ? Et puis elle est bien payée, c’est le plus important.

Alors elle continue, même si elle pense caresser du bout des doigts une dépression.

En fait, elle n’en peut plus. Carrément. Son congé maternité terminé, elle a compris que son ancienne vie ne lui suffirait plus. Mais comment l’annoncer ? Et que faire à la place ? Et comment gérer les finances après ça ? Non, c’est trop compliqué.

 

Elle a tout pour être heureuse, alors elle sourit. Elle ne se force pas, mais son sourire n’est plus aussi intense qu’avant. Elle sait que la vie est belle et qu’elle a énormément de chance d’avoir Angèle. Elle s’en veut, parce qu’elle sait que quelque chose lui manque, alors que son environnement devrait lui suffire.

 

Marie est assise au café, elle sirote du thé. À côté d’elle, dans la poussette, il y a Angèle. Elle la chatouille, puis elle sourit. Elle respire ; c’est comme ça que devrait être la vie. Simple, à déguster.

 

Une femme les approche, souriante, les mains dans les poches. Elle les salue, puis fait quelques grimaces au bébé, qui commence à gigoter. Le visage de Marie est rayonnant ; grâce à Angèle, elle prend contact avec les gens. Les deux jeunes femmes engagent une conversation. Tout d’abords sur le temps, puis peu à peu sur leurs vies respectives. La grande rousse s’est assise en face de Marie. Elles s’entendent bien, elles aiment parler, rencontrer.

Marie ne sait pas trop comment, mais elle en vient à parler de son sentiment de dépression. L’inconnue la rassure, la conseille, lui offre son aide. Elles deviennent amies ; l’inconnue s’appelle maintenant Amélie. 

 

Amélie

Elle lui propose une autre boisson, mais après un moment, Amélie doit partir. Elle est vendeuse au marché et sa pause est terminée. Elles se donnent rendez-vous pour le samedi suivant, et en plus de ça, Marie pourra essayer elle aussi de servir des clients. Sa nouvelle amie va en parler à son patron.

Entre les deux, une relation amicale très forte s’est rapidement installée, c’est comme si elles étaient nées pour se rencontrer.

 

C’est gaiement que sept jours plus tard, à huit heures et quart, Marie arrive devant le stand. Elle va vendre des fruits ; elle n’y connaît rien. Amélie est gentille, elle lui explique tout, lui fait goûter des baies, lui montre les prix…

La première personne à servir c’est un vieillard un peu bougonnant, mais malgré tout Marie garde le sourire et puis elle s’en amuse. C’est étonnant de voir tous ces caractères différents. Chaque client fait des mouvements bien à lui et certains négocient même le prix !

 

À onze heure, les deux jeunes femmes font une pause. La maman est aux anges ; qu’est-ce qu’elle s’est amusée ! Elle se sent faite pour ça. Bertrand n’est même pas passé, il trouvait que c’était ridicule en plus d’être une mauvaise idée.

 

Amélie doit encore servir jusqu’à treize heures trente, puis aider à ranger. Marie se décide à l’attendre ; elle adore l’atmosphère de l’endroit et son mari n’est pas souvent avec le bébé. Elle va manger un diner, puis somnoler à la terrasse d’un café. Pour elle, cette journée est magnifiquement vivante. Elle l’adore.

 

Lorsqu’elle a terminé, Amélie rejoint son amie. Elles discutent énormément, ça fait longtemps que Marie n’a pas passé autant de temps avec quelqu’un. La rousse la fait rire, elle est enthousiaste, motivée de tout, elle sourit, elle a une réserve inépuisable d’énergie.

Elle apprend qu’Amélie cherche un autre travail, trois marchés par semaine complétés de quelques heures de ménage, ce n’est pas génial. Elle adorerait être indépendante, mais dans quoi ? Et puis, l’argent manque. 

 

Bertrand

Marie l’admire. Sa nouvelle compagne fait tout pour être heureuse, alors qu’elle… Elle ne réussit pas à avoir le courage nécessaire. C’est après cette discussion qu’elle prend sa décision ; la démission. Pour une fois, elle va faire ce qu’elle veut. Un petit quelque chose lui dit que c’est la bonne solution. Elle y pense toute la soirée. Elle n’a plus aucune envie de s’enfermer dans un bâtiment pour être utilisée par son patron. Elle veut de la liberté.

 

Lorsqu’elle en parle à Bertrand, celui-ci pète les plombs. Il est sûr que ce n’est que passager et que sa femme agit sur un coup de tête ; il est hors de question qu’elle le fasse vraiment. Marie ne lâche pas prise, si elle continue dans la même entreprise, elle va tomber malade. Elle va finir dépressive, malheureuse, inutile. Bertrand ne comprend pas. Il ne veut pas que Marie perde son travail, elle a un bon poste. Si elle arrête tout, son salaire au marché sera minime. Qui est-ce qui payera les factures ?

Pour lui, c’est un caprice d’enfant. Une grande dispute éclate ; les deux hurlent comme ils ne l’avaient plus fait depuis longtemps. Angèle crie.

Marie se sent trahie ; il n’aime que l’argent qu’elle apporte. Elle est dégoûtée. Les larmes commencent à couler.

 

Peut-être qu’elle devrait y réfléchir encore un moment… et puis non ! Son mari ne la soutient même pas, alors elle veut lui prouver de quoi elle est capable. Elle saisit quelques affaires, prépare une petite valise pour Angèle, puis quitte son logement.

Heureusement qu’il y a Amélie ! Elles ne se connaissent que depuis une semaine, mais la confiance est énorme.

 

Amélie a rapidement prévenu son patron ; par chance il y a de la place pour vendre au stand. Marie est donc engagée et travaille hebdomadairement trois journées. Elle espère trouver un autre petit travail à côté, mais de toute manière elle a un peu d’argent économisé avec lequel elle peut se débrouiller. Pour l’instant, elle se repose.

Bertrand lui manque un peu, mais le bonheur lui, est on ne peut plus présent.

Au bout de quatorze jours, elle se sent ressourcée. Les autres employés sont rapidement devenus des amis, ils sont cinq à rire constamment.

Bertrand se sent seul. L’appartement, bien qu’il y passe très peu de temps, lui semble maintenant très grand. Et puis, les deux derniers samedis, il n’a pas quitté son lit. Il ne voulait pas croiser sa femme au marché, et encore moins y acheter ses provisions. Il va dans le grand magasin du centre ville. Il a essayé d’inviter des amis, de se soûler, et même de trouver une nouvelle copine. Impossible. Marie ne sort pas de sa tête. Enfin bon, il se dit que ça passera, qu’il l’oubliera. L’unique chose qui le dérange, c’est Angèle ; il veut la voir grandir, être un bon papa, pouvoir lui offrir des cadeaux. Il est trop fier pour faire le premier pas, il espère que Marie reviendra. C’est même certain ; qui voudrait gagner peu et rester derrière un stand en jouant au marchand indéfiniment ?

 

Amélie est heureuse de voir le visage de son amie s’éclairer peu à peu. Elle voit la joie de vivre revenir au grand galop, et c’est le meilleur des cadeaux.

Le mardi soir de la troisième semaine, Amélie rentre dans le petit appartement. Elle a courut, elle est essoufflée. Ses yeux brillent.

Elle a fait le ménage dans une grande entreprise toute la journée, et c’est là qu’elle a eu sa formidable idée. Une camionnette. 

Tout d’abords, Marie n’y comprend rien. La femme en face d’elle gigote comme une hystérique, et ses paroles sont difficiles à déchiffrer. Peu à peu, elle saisit l’enjeu. Amélie veut qu’elles montent un projet toutes les deux ; un stand ambulant. Une camionnette dont le côté s’ouvre, l’intérieur étant aménagé avec une petite vitrine et des étagères remplies de marchandises. Comme le vendeur de glaces qu’elle a aperçut plusieurs fois en bord de route. L’idée en soi lui plaît bien, mais elle a la tête sur les épaules et sait bien que c’est impossible à réaliser. Elle débute une liste d’interrogations ;

 

Que veux-tu vendre et où?

Où veux tu trouver la camionnette et le matériel ?

Quelles autorisations faut-il ?

Où trouveras-tu l’argent nécessaire pour débuter?

 

Amélie perd peu à peu son sourire ; ce n’est pas ce que Marie voulait ! Elles réfléchissent toute la nuit, se liant d’amitié pour la cafetière. Au bout d’un moment, les questions ont toutes leurs réponses, Marie n’y croit pas. Avec un peu de chance, c’est réalisable ! Et qu’ont-elles à perdre si ce n’est une petite quantité d’argent ? 

Marie a un peu modifié le plan ; elles vont débuter deux semaines d’essai et prendre le véhicule et le matériel nécessaire en location, pour voir si c’est possible d’en vivre. Elles ont eu l’idée de vendre des jus et quelques biscuits. Toute la fin de la semaine, elles préparent leur aventure en conquoctant des smoothies plus loufoques les uns que les autres ; Amélie est un peu plus originale, Marie un peu plus classique. L’assortiment va être intéressant.

Marie hésite à en parler à Bertrand, pour le financement elle utilise l’argent de leurs vacances d’été. Elle finit par ne rien lui dire.

 

En trois jours seulement, l’expérience est organisée ; Amélie a des contacts partout. Marie s’est débrouillée question papiers, même si ce n’est pas tout à fait terminé. Le premier matin, l’atmosphère est euphorique et quelque peu angoissante. Il faut que ça marche ! Elles ont loué un emplacement pour y trouver leurs premiers clients. Amélie a pris deux semaines de vacances à ses différents patrons.

 

Au fil de la journée, la boule dans le ventre de Marie rapetisse ; leur petite entreprise n’a pas un succès incroyable et fulgurant, mais les clients adorent, et peut-être que le bouche à oreille va se mettre en marche. L’espoir est là.

Pour les deux, c’est un rêve qui se réalise ; Angèle peut rester tranquillement dans la poussette à l’arrière de la camionnette, elles ont du contact avec les gens, des discussions, elles s’amusent. Elles aiment ce travail. C’est ça le plus important. 

Marie a les pieds sur terre, jamais elle ne pourra payer un appartement aussi grand qu’avec Bertrand… mais est-ce qu’elle en a besoin ?

Lorsqu’elles s’asseyent, le soir venu, tout leur apparaît comme une évidence ; elles ont trouvé leur voie et feront tout pour la suivre.

 

Finalement, comme si quelqu’un les avait aidées, elles n’ont plus aucune difficulté. Jamais elles n’avaient pensé concrétiser leur idée en si peu de temps. Tout s’est enchaîné très rapidement ; l’organisation, les autorisations. Leur projet est bien réel maintenant ! Leur camionnette peut rouler de marché en marché, de fêtes en fêtes, de routes en routes.

 

Bertrand lui, ne supporte plus la solitude de ses pièces luxueuses. Il commence à comprendre Marie, à ressentir un manque lui aussi. Pourtant, pour rien au monde il ne quitterait ses chiffres, c’est son talent et sa passion. Ce qu’il veut changer, c’est d’appartement. Il commence à chercher discrètement. Très rapidement, un ami lui donne une information ; il y a une habitation en bordure de la ville qui ne coûte presque rien. Bertrand a un peu peur, mais se décide à le visiter. C’est le coup de foudre ; chaleureux, aménagé avec goût, c’est douillet. Bien plus personnel que son appart’ modèle. Il suit l’exemple de sa femme, il a perdu trop de temps ; il le prend. Comme ça, parce qu’il sait que c’est la chose à faire. Il le sent.  

Le soir même, il téléphone à Marie, lui parle longtemps. Ils se réconcilient, se demandent pardon. Ils sont soulagés de s’être parlé. Tout rentre dans l’ordre, plus ou moins. Marie aimerait voir le nouvel appartement, puis découvre qu’il est charmant. Ils déménagent quelques jours plus tard. Au début, ils sont un peu méfiants, mais très vite la passion les reprends, c’est comme s’ils débutaient une nouvelle relation.

 

Marie a enfin trouvé une vie qui la remplit. Elle est aux anges.

 

Un samedi, deux mois plus tard, Bertrand s’en va tranquillement au marché. Il a décidé de baisser ses six jours de travail à cinq. Il a le weekend entier pour sa famille. Il sourit.

Il arrive devant le stand de jus de fruits comme tout les autres clients. Il y en a beaucoup, c’est l’heure la plus remplie. Marie lui fait signe de contourner le véhicule ; Amélie aimerait prendre sa pause. Bertrand, qui ne trouve plus ça ridicule du tout, commence à vendre des smoothies. À côté de lui, sa femme. Derrière lui un engin à roulette dans lequel repose Angèle. Ils sont heureux.

 

Après un énième acheteur, Bertrand se retourne pour embrasser sa petite fille. Il fronce les sourcils, puis la panique le gagne lentement. Il sort à l’arrière de la camionette en courant.

La poussette est vide, Bertrand, mains ouvertes et paumes tournées vers le ciel dans un geste d’impuissance dit à sa femme ; puisque je te dis qu’elle était là il y a deux minutes !

 

Marie elle aussi a son instant de frayeur. Sa Angèle a disparu ! Dans sa tête, c’est déjà comme si elle l’avait perdue. Elle a mal, parce qu’elle aperçoit avec clarté tout ce que sa fille lui a apporté. C’est un peu grâce à elle qu’elle a rencontré Amélie, et puis c’est elle aussi qui l’a fait sourire pendant longtemps, qui lui a insufflé du courage pour prendre sa vie en main. C’est Angèle qui a rendu sa vie importante. Qui l’a aidé à ouvrir les yeux au bonheur.

 

Les deux parents commencent déjà à fureter partout, à essayer de comprendre ce qui a pu se passer, lorsqu’Amélie revient. Elle tient le petit ange éternel dans ses bras, des couches toutes propres l’entourent.

 

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