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© 2021-2025 1a Clem

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Chapitre 1

1

Cette robe rouge que tu portais. Ces regards remplis de sous-entendus. Ce soir-là a changé nos vies. Tu n’aurais pas dû réveiller le monstre qui sommeille en moi. Par ta faute, je suis devenue une ombre, ton ombre. Retourne-toi, Emeline, et vois ce que tu as fait de moi...
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Ma chère Emeline,

 

Tous les soirs, j’entends ces mêmes plaintes, ces cris souvent, ces pleurs parfois… Emeline, les entends-tu toi aussi ? Echos du désespoir qui s’empare de nous lorsque nous franchissons ces portes fermées à double tour, lorsque notre regard caresse une dernière fois la beauté du dehors. Ces arbres qui dansent, bercés par le vent. Cette odeur d’herbe humide fraichement coupée. La chaleur de ces petits corps blottis entre nos bras. Certains ici parlent de regrets, de remords, de « Si seulement… ». Mais ce n’est pas mon cas, Emeline.

 

Te souviens-tu de notre première rencontre ? Non, bien sûr que non. Tu n’avais d’yeux que pour Paul. Ce soir caniculaire de juillet, des corps en perpétuels mouvements, humides et chauds. Le tien, dans une provocante robe rouge dissimulant à peine ce qui devait l’être. J’ai vu, Emeline, les regards échangés, remplis de sous-entendus, des sourires à peine dissimulés derrière un verre de Côtes-du-Rhône. Ce soir-là, j’ai su. Que tu allais détruire nos vies et qu’un jour, en retour, je détruirais la tienne.

 

Puis, nous sommes rentrés chez nous. Je tremblais, non pas à cause du Côtes-du-Rhône, mais de la colère et de la haine qui montaient en moi. Déjà. « Tu la trouves jolie ta nouvelle collègue ? » ai-je demandé à Paul. « Laquelle ? » m’a-t-il répondu sans ciller. Quel toupet ! T’en rends-tu compte, Emeline ? Oser faire semblant, me mentir à moi, la femme qui partage sa vie depuis dix ans, la mère de ses trois merveilleux enfants ! Baisers rapides à ces petits êtres endormis, dont l’insouciance me serra le cœur. Dans mon lit, j’ai prié, Emeline. Prié pour que cette soirée et vos regards complices n’aient jamais existé. Prié pour que l’aurore efface les prémisses de la trahison. En vain. Le jour s’est levé. Comme toujours. Et comme toujours, Paul a effleuré mes lèvres d’un rapide baiser pour me souhaiter une bonne journée. Il allait te retrouver. Qu’as-tu fait Emeline ? Tu n’as sans doute pas attendu un jour de plus pour finir d’injecter ton venin dans ses veines. Je l’ai senti lorsque Paul est rentré à la maison ce soir-là. Son regard sur moi avait changé. Le mien aussi d’ailleurs. Trahison. A partir de cet instant, je n’ai plus été la même. Moi, la douce épouse, l’infatigable et dynamique mère de famille. Vois ce que tu as fait de moi, Emeline. Regarde le monstre que je suis devenu, tapi dans l’ombre, tapi dans ton ombre.

 

J’entends encore ta voix interloquée, tremblante, tes cris puis le silence dans nos échanges téléphoniques nocturnes et avortés. Je vois encore ton regard apeuré, telle une proie fuyant un prédateur invisible. Je sens encore ton odeur vanillée sur les habits de mon cher époux. Bien sûr, tu ignorais tout de moi. Impossible de mettre un visage et encore moins un nom sur cet ennemi qui empoisonnait ton existence. Mais moi, je savais tout de toi. Ton origine malgache, tes habitudes, tes petites manies. Ton goût pour les marches en montagne et les marchés aux puces. D’ailleurs, quelle jolie lampe tu avais chiné, ce dimanche matin d’octobre ! Une antiquité qui a rapidement trouvé sa place dans ton minuscule séjour. Je te connaissais par cœur, Emeline. Sans doute encore davantage que tes plus proches amis. Peut-être même plus que certains membres de ta famille. Au fil des semaines, tu nous as fait sombrer dans la folie. Tu hantais mes jours et mes nuits. Tu étais mon obsession, ma raison de vivre, peut-être même celle de mourir. J’y ai pensé… Je voyais ma vie m’échapper, mon mari rentrer toujours plus tard de son travail, mes enfants m’ignorer. Mais tout cela n’avait plus d’importance. Le mal était fait, Emeline. Et le mal avait un prénom : le tien. Il fallait l’éradiquer coûte que coûte, tel un nuisible insignifiant. Te faire disparaître de la surface de la terre. Pour qu’enfin Paul effleure à nouveau mes lèvres au moment de nos au revoirs, pour que mes enfants se souviennent qu’ils ont une mère. Pour que ton existence cesse d’annihiler la mienne. C’était toi ou moi, Emeline, et j’ai choisi mon camp.

 

Il fallait être prudente bien sûr, d’autant que la main courante que tu avais déposée quelques semaines auparavant risquait de ne pas me simplifier la tâche. Il fallait que l’on déplore un tragique accident. Que personne ne puisse faire le lien entre nos destins. Et un jour, j’ai su ! Mon goût pour les romans policiers m’a bien aidé, je dois l’avouer. Il fallait juste attendre patiemment que la bête sorte de son antre. Enfin, en ce jour de février aux températures particulièrement clémentes, tu as décidé d’oublier ta peine et ta peur sur ces pentes vertigineuses, dans ces pierriers arides. Insouciante, heureuse. Un bonheur intense mais de courte durée. Emeline, je n’oublierai jamais ton regard empli de terreur lorsque tu as compris que ces crêtes divines et solitaires seraient ton tombeau. Puis, nos deux corps unis pour une dernière danse macabre. La lutte. Un cri. Le silence.

 

Ils ont fini par te retrouver, Emeline. Et moi aussi, j’ignore comment et cela ne m’intéresse pas. Depuis, je croupis ici. Seule, avec, pour unique horizon, ces quatre murs gris et sales. Les enfants viennent me rendre visite parfois, avec leur père.  Paul me pose toujours la même question : « Pourquoi ? ». Il attend mes confessions, sans doute. Depuis quand les victimes sont-elles coupables d’un crime ? « Pour toi, pour vous. ». Un jour, peut-être, comprendra-t-il ? Mais mon espoir s’amenuise au fur et à mesure de nos parloirs. Paul nie toujours l’évidence. Il me parle de fidélité, de « Ce n’est qu’une collègue… », j’entends mais n’écoute pas. Parfois, la nuit, les larmes ruissellent sur mes joues. Je pleure sur mon propre sort, jamais sur le tien.

 

Tu ne liras pas cette lettre, Emeline. Tu vis désormais dans une prison, toi aussi. Enfermée dans ton propre corps, incapable de bouger. Mais sache, ma belle, qu’un jour, je pourrais à nouveau voir les arbres danser, sentir l’odeur de l’herbe fraichement coupée et enlacer ces petits corps devenus grands. Toi, non, Emeline. Ni remords, ni regrets.

 

Claire

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