Créé le: 29.09.2016
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A LA RENCONTRE DU PUBLIC
“Bon, je ne vais tout de même pas m’en tenir là. Après tout, la terre grouille de gens qui ne méritent pas de vivre. De gens qui empoisonnent la vie des autres. Et moi, j’ai le pouvoir d’y mettre bon ordre. A qui le tour ?”
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A LA RENCONTRE DU PUBLIC
Avez-vous déjà essayé d’enfermer un chat dans un sac shopping en toile ? Ce n’est vraiment pas facile, mais j’y suis arrivée, avec quelques griffures. Smiley, le chat des voisins, n’a pas été dur à attraper : il est venu immédiatement, quand je lui ai tendu le morceau de poulet. Il est venu et s’est frotté contre moi, je crois bien avoir entendu des ronronnements. La vilaine bête ! J’en ai vraiment assez qu’il chasse les petits oiseaux ; il lui arrive même de se poster sous la mangeoire qui est en face de la fenêtre de ma cuisine. Eh bien, ce manège est désormais fini : j’ai jeté le sac dans la Saône, avec le chat qui se débattait là-dedans comme un beau diable, un filet lesté d’un pavé attaché à la poignée. Hier soir, j’ai pris ma voiture, j’ai traversé le pont, me suis garée au plus près du fleuve, et je me suis dirigée vers la promenade sur les berges. Il pleuviotait : personne ! Plouf : ça a coulé tout de suite. C’était facile. Ni vu ni connu. Un chat, ça va, ça vient, ça disparaît. Pour l’affreux yorkshire aboyeur d’en face, c’est un peu la même chose : nul ne se doute que la boulette empoisonnée, c’était moi. Le voisinage est content : plus de yorkshire, plus d’aboiements. Terminé ! Et c’est à moi qu’on le doit. Tout cela a été très facile et rapide.
J’ignorais de quoi je suis capable ; je découvre que j’ai du courage, du sang-froid. Le mouflet de ma belle-fille, celui de son premier mariage et qui empoisonne la vie de mon fils du haut de ses cinq ans, il va falloir que j’en fasse quelque chose. C’est plus compliqué que pour un chien ou un chat, mais
des solutions existent. La piscine, évidemment ! Combien d’enfants noyés par accident dans des piscines privées chaque été ? J’ai oublié le chiffre, mais il y en a beaucoup. J’ai respecté la loi, mon bassin est entouré d’une clôture d’un mètre vingt. Mon idée est simple. Un dimanche ensoleillé, pendant que mon fils et sa chérie sont occupés dans la chambre, j’emmène le gamin se baigner.
J’ai laissé la fermeture du grillage à demi ouverte, comme si quelqu’un l’avait tirée sans réussir à la défaire totalement. Une bouée, deux boudins flottants : un vert, un bleu. On s’amuse ! Je lui maintiens la tête sous l’eau, il se débat ; il essaye de crier, sa bouche s’emplit d’eau, il bat des pieds et des bras, de moins en moins fort. Personne n’a rien entendu : il y a du monde dans le jardin d’à côté, ils finissent leur déjeuner bien arrosé. Je rentre dans la maison juste un instant, moins de cinq minutes ; quand je reviens, je découvre le drame, je hurle, on accourt. Mon Dieu, c’est épouvantable! Nicolas a voulu aller dans la piscine tout seul, il a réussi à passer par-dessus le filet métallique qu’il a en partie défait et qui pendouille maintenant. Vite, le téléphone, le 18, on s’affole. La maman pleure, la pauvre, les pompiers arrivent et constatent qu’ils ne peuvent plus rien. Je suis en état de choc, vous pensez : c’est arrivé chez moi ! On nous réconforte, la police est là en même temps que le médecin inutile. On me questionne, je ne suis vraiment pas en état de répondre.
Voilà, c’était du beau travail. Mais j’ai joué petit. Maintenant, il va falloir passer au niveau supérieur. Je ne peux pas m’arrêter là. A qui le tour ? Il y a Roger qui m’embête. Je l’aimais bien, Roger, mais il refuse de comprendre que c’est terminé. Alors, il me passe des petits coups de fil en douce. « Que c’était bon de nous rencontrer ! ». Il trompe sa femme, Roger. Il mérite d’être puni pour venger toutes les femmes trompées. Je réfléchis, j’ai une idée. Quand il m’appelle encore, je lui propose un rendez-vous dans le verger derrière le cimetière. Le verger est à l’abandon, les herbes sont hautes, des buissons ont poussé : c’est justement là que nous nous cachions l’été dernier. J’ai un plan, car il me faut être maligne : Roger, ce n’est pas un chien ou un enfant. Il a laissé sa petite voiture grise derrière l’église et a fait le chemin à pied : il prend des précautions. Parfait !
Je me gare au fond du parking ; il se dirige vers le verger, je le suis à cent mètres. Nous nous retrouvons au milieu des fourrés : ça a poussé depuis l’an dernier. Roger me fait le coup du souvenir, il est tout attendri :
– Tu te souviens, comme c’était bien ! Je suis si heureux que tu sois enfin venue.
Nous étalons la couverture. Il commence à m’embrasser, je suis distraite, tout à mon plan.
– Qu’est-ce qu’il y a ? ça ne va pas ?
– Si, si.
Il faut être prudente, il est méfiant par nature ; cela m’a toujours déplu en lui, cette propension à se méfier de tout. Il faut qu’il ne se doute de rien, sinon, c’est raté. J’ai le couteau dans mon cabas. Il est en véritable céramique japonaise, et bien pointu. J’ai vu beaucoup de films policiers, mais je ne
savais pas trop comment m’y prendre : j’ai passé ces derniers jours à étudier la question. Je suis prête. Enfin, il me semble.
Roger commence à me déshabiller, j’en fais autant pour lui. Il est tout content. Je fais semblant de chercher un kleenex, et je cache le couteau sous le coin de la couverture. Roger ferme les yeux, il se penche au-dessus de moi et je frappe, de bas en haut : à vrai dire, il s’empale lui-même. Il a l’air étonné. Je me dégage ; j’ai du mal à ressortir le couteau, mais en fin de compte, j’y parviens : dans les grands moments, on a une force étonnante. Je frappe encore, au cou. Il s’est effondré, il ouvre et ferme la bouche comme un poisson. Quand je suis sûre que c’est fini, je me relève doucement, me rhabille. Je vérifie mes vêtements : je n’aurai qu’à me doucher et passer mon linge à la machine. Je respire ! J’essuie le couteau et l’enveloppe dans un chiffon : j’ai tout prévu. Je fais rouler Roger sur l’herbe ; il est quand même lourd…
Je récupère la couverture. Je fouille les poches de son pantalon, je prends le portefeuille et le téléphone mobile. Je sais qu’il n’a noté mon nom nulle part pour que sa femme ne tombe pas dessus. Personne ne me connaît dans son entourage : on ne fera pas de lien entre Roger et moi. J’emporte la couverture, évidemment. Je vais la brûler tout à l’heure dans le bac à déchets végétaux, elle disparaîtra avec les herbes de tonte et les épluchures : ce sera bon pour les géraniums. Je mets de grandes lunettes noires, un chapeau de paille et des sandales à talons compensés, et regagne ma voiture d’un pas nonchalant ; tout va bien, il n’y a personne dans les alentours du cimetière. Le
téléphone, c’est compliqué : Roger m’a appelée plusieurs fois, mais je ne sais pas vider un portable. Alors, je sors la carte SIM, la glisse dans un égout au passage. Je roule jusqu’à Neuville, jette le téléphone dans une poubelle déjà pleine après l’avoir frotté avec un chiffon à lunettes : ne pas laisser d’empreintes, c’est bien connu. Le portefeuille vide dans une autre poubelle. Son contenu, je le mets en vrac dans un sachet plastique qui a contenu des salades, et le tout dans mon conteneur à ordures. Voilà, c’est fait. Travail propre. Lundi matin, j’entends le camion des éboueurs qui passe : plus aucune trace. J’ai acheté « Le Progrès », dernière édition locale : rien. Rien mardi non plus. On ne l’a pas encore trouvé, ou quoi ? Est-ce que la police cherche ? Mercredi, il pleut à verse : personne n’ira se promener du côté du cimetière. Affaire terminée. Décidément, je suis forte. Quel dommage que personne ne puisse m’applaudir !
Bon, je ne vais tout de même pas m’en tenir là. Après tout, la terre grouille de gens qui ne méritent pas de vivre. De gens qui empoisonnent la vie des autres. Et moi, j’ai le pouvoir d’y mettre bon ordre. A qui le tour ? Attention, je dois garder la tête froide : quand même, cela comporte des risques. Dans les polars à la télévision, on voit des idiots qui se font prendre à cause d’un minuscule détail qu’ils avaient négligé. Donc je dois agir froidement, méticuleusement. Il me semble que Jean-Claude Lestrac doit être puni. Il a pris sa retraite un an avant moi, c’était mon collègue au Lycée. Il enseignait le français et le latin ; je l’ai embarqué deux ans de suite avec moi pour le voyage de fin
d’année des élèves à Rome. J’avais tout organisé, j’y avais consacré plusieurs semaines parmi les plus occupées de ma vie professionnelle, à ces voyages, et lui, il n’a eu qu’à venir avec sa valise et sa guitare. Tout est la faute de sa guitare, justement : il a littéralement ensorcelé mes élèves, qui
au retour ne parlaient que de cela, oubliant Forum, Colisée, Vatican et tout le reste. Mais non, ils se souvenaient des soirées passées à chanter dans le réfectoire, avec le personnel de cuisine venu participer après le travail, et des refrains repris en chœur avec Lestrac qui grattouillait son instrument. Et c’est lui qu’après le retour chacun venait trouver, comme si tout cela avait été uniquement grâce à lui, et il acceptait gracieusement compliments et gratitude, tandis que je restais seule et ignorée dans mon coin. Il m’a volée. Oui, du vol : comment appeler ça autrement ? Il doit payer maintenant. Cette fois encore, il ne sera pas possible d’établir un lien entre lui et moi : cela fait trois ans que je ne l’ai plus revu. Je ne suis certainement pas dans son répertoire. Il m’a oubliée, pas moi. Je sais où il habite : assez loin, dans un petit immeuble. Ma décision est prise : il est condamné.
Il reste à trouver le bon moyen.
Pas trop difficile de m’introduire chez lui, avec un prétexte du genre album-souvenir des latinistes. Je sais qu’il vit seul, j’ai vérifié. Bon, une fois chez lui, que vais-je faire? Il m’offrira un thé à la menthe très sucré, selon son habitude. Que peut-on mettre dans du thé à la menthe ? Le parfum est suffisamment fort pour masquer un autre goût ; et même s’il remarque quelque chose, Lestrac
aime tellement parler, se raconter, se mettre en valeur, qu’il ne va pas s’arrêter pour si peu. Je passe en revue ma pharmacie. Il me reste de la Lamaline après mon opération, du somnifère pour dormir dans l’avion quand je pars en voyage, quoi encore ? Je regarde les notices, je lis ce que je trouve sur Internet. Cela devrait suffire, j’ai de quoi faire un petit mélange pas piqué des hannetons. J’exulte. Je suis prête.
Je lui téléphone, en espérant qu’il n’est pas parti en vacances. Il est assez étonné de m’entendre.
Mais je lui déballe ma petite histoire, il mord à l’hameçon, surtout quand il entend qu’il y aura sa photo, avec la guitare et un cercle de gamins. Il me propose de venir chez lui, on discutera autour d’un thé. Parfait ! Le jour convenu, j’arrive avec dix minutes de retard. Bon, nous en venons au projet, je sors photos et maquette.
– Ah, tu veux faire carrément un petit journal ?
– Oui, pour la revue de rentrée du Lycée.
– Mais il y en avait déjà eu un !
– C’est vieux, on m’a demandé de montrer aux élèves actuels ce que nous avions fait.
– Très bien, excellente idée ! Attends, je vais chercher les photos que j’ai dans une boîte.
C’est le moment. Son verre de thé repose sur la table basse. Mon mélange est tout prêt dans une petite fiole. Je l’entends qui fouine dans ses affaires : «Mais où est-ce que je les ai mises ?». J’ai peu
de temps, je vide la fiole dans son verre. Pourvu que ce ne soit pas vraiment amer ou je ne sais quoi, je n’ai pas pris le risque de goûter.
Déjà il revient avec un air victorieux : « J’ai trouvé, les voilà ! ». Il pose un paquet de photos sur la table devant moi. Je m’extasie, je commente, je flatte son ego, je parle peut-être un peu vite et avec trop d’excitation. Il est tout content, il est aussi volubile que moi, il avale son verre d’un trait entre deux phrases, et là, il ne faut surtout pas que la conversation ralentisse, je ne dois pas lui laisser le temps de s’arrêter, de noter que sa boisson n’a pas le goût habituel. Mais non, il parle, il parle, il raconte ses souvenirs, il est content de lui, comme toujours. Alors, aucun effet ? Je m’impatiente. Aurais-je manqué mon coup ? Il faut reconnaître que je ne connais encore pas grand-chose aux empoisonnements, ce sera peut-être un essai pour rien. Il raconte toujours, et puis soudain, un silence, il pâlit. Mon cœur bat très fort, je ne suis pas habituée à ce genre de situation. Je poursuis la conversation comme si de rien n’était. Il porte la main à son ventre, pousse un cri de souris, s’effondre sur le tapis. Cette fois, ça y est. Je soulève sa tête, il a les yeux révulsés. Affreux ! Je tâte son cou, on ne sent pas le pouls. Il est sans doute mort. Je ne pousse pas plus loin mes investigations, je cours à la cuisine avec le plateau du thé. Je lave les deux verres au savon et les essuie avec un torchon, j’en laisse un sur l’égouttoir et emporte l’autre. Au salon, je frotte tous les
endroits où j’ai pu laisser des traces, remballe mes documents. Je regarde par l’œilleton de la porte d’entrée : personne sur le palier. Je sors et descends par l’escalier : c’est moins risqué que l’ascenseur. Il me semble entendre des sirènes de police, mais ce sont juste mes oreilles qui sifflent. C’est très excitant.
Et de trois ! Je ne compte pas le chien et le chat : ça, c’était pour m’exercer. Bon, je deviens très forte! Vraiment. Dommage que je sois la seule à en profiter. Je m’amuse comme une folle. Il me faut une nouvelle idée. Je réalise que pour le moment, j’ai à mon tableau de chasse deux hommes et un petit garçon, et aucune femme. Il faut donc trouver une femme. Des femmes nuisibles, il y en a aussi tout plein. Presque autant que des hommes. Il est même difficile de choisir. Je devrai changer de mode opératoire pour ne pas faire comme les serial killers, qui, semble-t-il d’après les séries TV, répètent toujours les mêmes choses et finissent forcément par se faire prendre par le policier. Noyade, couteau, poison, cela fait déjà un joli échantillonnage, mais il faut du nouveau.
Je n’ai pas de revolver et ne saurais pas m’en servir. Etouffer une vieille dame sous un oreiller ? Non, je n’ai rien contre les vieilles dames, et de toute manière, elles n’ont plus tant que cela à vivre… Alors, quoi ? Ai-je la force d’étrangler quelqu’un ? Cela ne me paraît pas mal. Et puis, c’est propre, ça
ne laisse pas de traces. Dans les romans et les vieux films, on utilise souvent un bas, ou encore une fine et élégante cordelette. Mais il faut se placer derrière la victime et tirer très fort. Non, ce n’est pas pour moi, je suis de petite taille et c’est plutôt une affaire d’homme. Alors j’en reviens à l’oreiller. Il faut s’introduire dans une maison la nuit. Pas évident.
Ah, mais j’ai les clés de la maison de mon amie Elise! Et je connais le code de l’alarme, c’est important, car elle la branche peut-être quand elle va se coucher. Mais est-ce que cela ne me désignerait pas comme suspecte ? Il faut penser absolument à tout, quand on se lance dans ce genre d’affaires. Je vais faire semblant d’être partie en vacances. Absente, donc innocente : simple, non ? Je téléphone à droite, à gauche, j’annonce mon départ pour le Sud-Ouest. Elise, ce n’est pas vraiment mon amie. Elle est amie avec tout le monde, surtout si on est du sexe masculin. C’est par commodité que j’ai ses clés. Elle m’énerve, toujours à minauder. Elle a besoin de séduire. Ah, ses inénarrables minijupes, à son âge ! Et ses talons vertigineux… les cheveux blond platine, le maquillage violent, les décolletés profonds. Pas de pitié.
Je me renseigne : elle ne s’est pas encore envolée pour la Corse. Je choisis une nuit en milieu de semaine, il y a moins de chances pour qu’elle ait quelqu’un dans son lit. Le temps est à l’orage, tant mieux : cela masque les bruits. Je déverrouille et referme le lourd portail qui grince, traverse le jardin. Pluie, vent, tonnerre. Quelle belle nuit pour un meurtre ! Brrr ! J’en ai la chair de poule. J’ai un peu de mal avec la clé de la porte d’entrée, j’ouvre enfin. J’entends le signal de l’alarme enclenchée et tape le code à la lumière de mon portable. Tant mieux, cela signifie qu’elle est seule.
Mon ciré dégouline, je l’accroche au porte-manteau et ôte mes bottes mouillées : ne pas laisser de traces ! Je suis venue à pied, ma voiture est dans le garage, bien sûr. La chambre se trouve au premier ; j’ai pris un gros coussin bien mou au salon. Elise raffole des gros coussins à franges et pompons, quelle horreur ! Ils causeront sa perte.
Je monte. Un éclair zèbre la fenêtre de l’escalier, on y voit comme en plein jour. Pourvu que l’orage ne l’ait pas réveillée ! Comment expliquerai-je ma présence ? Oh, je raconterai que comme chez moi, ça a disjoncté, je suis passée vérifier chez elle parce que je la croyais partie, ou une embrouille de ce genre. L’avantage avec elle, c’est qu’elle est très crédule : elle rencontre le grand amour au moins deux fois par an. Donc, je monte tout doucement, j’arrive sur le palier. Nouvel éclair, nouveau coup de tonnerre. Sa chambre est à droite, la porte est entrouverte, il n’y a pas de lumière. Tout va bien. Pieds nus, retenant mon souffle, je pousse la porte, je fais deux pas dans la pièce. Tiens, elle ne ferme pas les volets pour dormir ? Je me rends compte que la chambre est vide.
Zut ! Que faire ? Renoncer pour cette nuit, ou me cacher et attendre qu’elle rentre et se couche ?
Dommage d’abandonner : avec cet orage, quel effet dramatique, quelle belle mort ! Je suis vraiment dépitée. J’hésite. Alors, j’entends la porte d’entrée qui se referme en claquant. Un bruit de voix. Des pas qui montent. Elle n’est pas seule ! Je reste là, au milieu de la pièce, sans parvenir à prendre une décision : vais-je me cacher ? On approche. Me voilà comme paralysée. Dans un film, l’assassin se serait dissimulé derrière les rideaux ou dans le placard. L’idée ne me plaît pas. Trop tard, d’ailleurs.
Je vais improviser. D’un coup, la lumière s’allume. On se croirait au théâtre.
– Mais qu’est-ce que tu fais là ? C’est à toi, le ciré et les bottes en bas ?
– Oui, je ne voulais pas mouiller l’escalier.
– Ah bon ? fait son compagnon, que je vois pour la première fois.
– Oui, bien sûr, c’est à cause de la pluie, vous n’avez pas remarqué ? Il pleut très fort. Un vrai déluge, tu ne trouves pas, Elise ?
– Cela ne m’explique pas ce que tu fais dans ma chambre pieds nus avec ce coussin.
J’éclate de rire :
– Le coussin, c’était pour m’assoir par terre et bavarder un peu avec toi. J’ai très peur des orages, tu sais bien.
– Non, je ne savais pas.
L’homme, d’abord étonné, me regarde d’un air soupçonneux. Elise nous présente.
– Richard est journaliste au « Progrès », rédacteur en chef pour les faits-divers.
– Ah, c’est très intéressant, ça ! J’aime beaucoup les faits-divers, c’est la seule chose divertissante dans les journaux. Mais je ne vous fais pas mes compliments : vous êtes nul, complètement nul ! C’est désolant. Pourquoi n’avez-vous pas parlé de l’homme poignardé derrière le cimetière ? J’attendais mieux de votre journal. Je suis vraiment, mais alors vraiment déçue.
Il commence à me regarder autrement. Je suis fâchée, je m’énerve, l’accuse de négligence, de mal faire son travail et de m’avoir privée du plaisir de lire quelque chose d’intéressant dans la presse. Oui, parfaitement ! Devant son incrédulité imbécile, je raconte toute l’affaire, sans omettre aucun détail. Et tant que j’y suis, je parle aussi de Lestrac et de tout le reste, de Nicolas, du yorkshire et même du chat. Il écoute, il a l’air vraiment intéressé, à présent. Dire que je lui avais servi comme sur un plateau de bons sujets d’articles, et qu’il n’a même pas été capable d’en tirer parti, de distinguer un beau travail, du travail d’artiste. Oui, parfaitement. Parce que dans mon domaine, je suis une véritable artiste, il faut bien le dire. Et tout artiste a besoin d’être connu et reconnu.
Elise sort un téléphone de son sac. Mais moi, ça m’est bien égal, car je tiens enfin mon succès. J’ai rencontré mon public.
Commentaires (1)
Pierre de lune
16.10.2016
Bonjour ! J'ai beaucoup aimé votre nouvelle ! Le 2e degré, l'humour caustique, provocateur à dessein, de cette grande psychopathe... vraiment super !
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