Créé le: 29.09.2025
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À côté des traces
À coté des traces (Mémoires de plages)
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À partir d'une photographie de l'artiste Marios Fournaris, lors de l'exposition "Perama, je me souviens" à la galerie Analix Forever.
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Perama (Grèce)
Ce matin, elle s’est sentie mal.
Plus vide que les jours passés.
Depuis cent jours, elle s’assied tous les matins et tous les soirs sur le trottoir en face de sa maison.
Une simple masure qu’elle n’a plus les moyens d’entretenir.
Depuis que le port et ses entrepôts ont débordé sur le village de Pérama,
Depuis que les conteneurs ont envahi tout l’espace,
Depuis que la plage de son enfance a été engloutie.
Toutes les nuits, entre les agglomérats de fer, des silhouettes d’hommes se faufilent comme des bêtes,
Et elle les voit filer la nuit sur la route.
Elle est âgée.
Plus rien à faire ici.
Et pas d’autre endroit où aller.
Une nuit
Il y a cent jours
Des cris
Des bruits de coups
Cela arrive souvent
Les gardes de l’entrepôt ou la police
Elle ne sait pas
Elle ne sort pas
Elle guette le retour du silence
Et le lendemain les traces de rouge sur le mur
La couleur lui a sauté au visage quand elle est sortie
Comme elle ne voit plus très bien, elle a pensé que sa terreur de la nuit lui faisait imaginer des choses
Que les traces étaient là depuis longtemps
Mais quand elle s’est approchée
Elle a compris.
Depuis cent jours, tous les matins, elle sort le seul fauteuil de sa maison.
Celui de sa grand-mère,
Style rococo,
Le seul objet de valeur de sa maison.
Tous les matins elle le porte jusqu’au trottoir d’en face et le pose à côté des traces rouges sur le mur.
Elle s’assied sur le fauteuil tous les matins.
À midi, elle rentre chez elle pour se protéger du soleil qui tape si fort en cette saison.
Elle laisse le fauteuil de sa grand-mère trôner sur le trottoir à côté des traces.
Le soir elle revient s’asseoir pour une heure ou deux encore,
Puis elle rentre avec le fauteuil dans sa maison.
Elle s’en veut de ne rien dire
Elle ne sait pas comment agir
Comment dire non
A la police
Aux gardiens
Comment arrêter ces chasses à l’homme
La nuit
Comment les aider eux qui cherchent un lieu pour vivre
Elle ne sait pas quoi faire d’autre que
Être là
Dos à la mer
Tous les jours.
La mer au loin
Toujours là.
Elle
À côté
Des traces.
Commentaires (2)
Béatrice Anselmo
03.10.2025
Oh merci pour votre commentaire ! Qui me touche par le choix des adjectifs. Ils mettent des mots sur ce que j’ai tenté de faire : un bref récit que j’ai voulu simple mais puissant.
Emeraude
03.10.2025
Puissant, désespérant, désenchanté, et pourtant tenace, obstiné, authentique. Tout cela en quelques mots, essentiels et purs. Merci.
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