À coté des traces (Mémoires de plages)

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À partir d'une photographie de l'artiste Marios Fournaris, lors de l'exposition "Perama, je me souviens" à la galerie Analix Forever.
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Perama (Grèce)

 

Ce matin, elle s’est sentie mal.

Plus vide que les jours passés.

Depuis cent jours, elle s’assied tous les matins et tous les soirs sur le trottoir en face de sa maison.

Une simple masure qu’elle n’a plus les moyens d’entretenir.

Depuis que le port et ses entrepôts ont débordé sur le village de Pérama,

Depuis que les conteneurs ont envahi tout l’espace,

Depuis que la plage de son enfance a été engloutie.

Toutes les nuits, entre les agglomérats de fer, des silhouettes d’hommes se faufilent comme des bêtes,

Et elle les voit filer la nuit sur la route.

 

Elle est âgée.

Plus rien à faire ici.

Et pas d’autre endroit où aller.

 

Une nuit

Il y a cent jours

Des cris

Des bruits de coups

Cela arrive souvent

Les gardes de l’entrepôt ou la police

Elle ne sait pas

Elle ne sort pas

Elle guette le retour du silence

Et le lendemain les traces de rouge sur le mur

La couleur lui a sauté au visage quand elle est sortie

Comme elle ne voit plus très bien, elle a pensé que sa terreur de la nuit lui faisait imaginer des choses

Que les traces étaient là depuis longtemps

Mais quand elle s’est approchée

Elle a compris.

 

Depuis cent jours, tous les matins, elle sort le seul fauteuil de sa maison.

Celui de sa grand-mère,

Style rococo,

Le seul objet de valeur de sa maison.

Tous les matins elle le porte jusqu’au trottoir d’en face et le pose à côté des traces rouges sur le mur.

Elle s’assied sur le fauteuil tous les matins.

À midi, elle rentre chez elle pour se protéger du soleil qui tape si fort en cette saison.

Elle laisse le fauteuil de sa grand-mère trôner sur le trottoir à côté des traces.

Le soir elle revient s’asseoir pour une heure ou deux encore,

Puis elle rentre avec le fauteuil dans sa maison.

 

Elle s’en veut de ne rien dire

Elle ne sait pas comment agir

Comment dire non

A la police

Aux gardiens

Comment arrêter ces chasses à l’homme

La nuit

Comment les aider eux qui cherchent un lieu pour vivre

Elle ne sait pas quoi faire d’autre que

Être là

Dos à la mer

Tous les jours.

 

La mer au loin

Toujours là.

 

Elle

À côté

Des traces.

 

Commentaires (2)

Bn

Béatrice Anselmo
03.10.2025

Oh merci pour votre commentaire ! Qui me touche par le choix des adjectifs. Ils mettent des mots sur ce que j’ai tenté de faire : un bref récit que j’ai voulu simple mais puissant.

Emeraude
03.10.2025

Puissant, désespérant, désenchanté, et pourtant tenace, obstiné, authentique. Tout cela en quelques mots, essentiels et purs. Merci.

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