Créé le: 08.09.2021
71 0 2
La Dame du Tarn

Contes, Fiction

a a a

© 2021-2024 Laure Houisse

Depuis toujours diverses légendes sur les Dames Blanches circulent aux quatre coins de la France. Qui sont-elles réellement ? Certains disent que ce sont des âmes errantes entre deux mondes, d’autres des entités en recherche de vengeance. Et si tout simplement, c’était LA RENCONTRE ....
Reprendre la lecture

Avant le jour du changement

 

— Nous ne sommes pas à Zombieland, ma chère ! Je ne suis pas non plus un faiseur de miracles ! À moins d’une longue et coûteuse chirurgie esthétique, seul le repos complet te redonnera un aspect plus ou moins humain. Non mais sérieusement ? Tu as vu ta tête ? Un conseil d’ami, ne te regarde surtout pas dans une glace. Tu risquerais de me demander qui est la troisième personne qui se trouve avec nous dans cette pièce. Enfin Sanja, si tu ne t’arrêtes pas immédiatement de travailler comme une dingue, tu vas atteindre le point de non-retour et je ne pourrai plus rien pour toi. Je n’ai absolument aucune envie de t’envoyer dans une maison de repos ou dans un hôpital psychiatrique. Entre nous, je pense que ton père ne me le pardonnerait jamais. Donc, maintenant, c’est certificat médical ! CER-TI-FI-CAT… Sanja. Je te le répète, c’est CER-TI-FI-CAT et RE-POS !!! hurle mon médecin en devenant rouge comme une tomate. Et en plus de ça, je te préviens, c’est non négociable. Donc, tu vas me faire le plaisir d’appeler ta DRH, ou la personne qui dirige l’entreprise pour laquelle tu bosses, et tu vas leur annoncer que je te mets trois semaines en arrêt maladie, compris ? Tu vas commencer par aller t’enfermer et dormir, sans compter, pendant une semaine dans l’appartement qui te sert de boîte postale, sachant que tu ne t’y trouves pas souvent. Ensuite, tu vas sauter dans un avion pour te rendre où tu veux, dans le désert, dans la jungle brésilienne, ou même dans les steppes de Mongolie, je ne veux surtout pas le savoir, mais j’insiste pour que tu quittes la Suisse. Je te rédige de ce pas une autorisation de sortie du territoire, mais tu me coupes ton téléphone et tu laisses ton ordinateur à la maison. Ai-je été assez clair ou tu veux que j’appelle moi-même ta DRH ? Mais je te préviens, si c’est moi qui dois lui parler, tu me connais, je risque de ne pas forcément être d’une grande diplomatie.

Je sais pertinemment qu’il a amplement raison de me rappeler à l’ordre et que chez moi, seule la manière forte fonctionne. Je suis clairement arrivée à la limite du supportable et d’ailleurs, je ne cherche même pas à riposter ou négocier encore un ou deux jours de travail en plus. Il est grand temps que je m’arrête et que je prenne enfin conscience qu’on ne joue pas avec sa santé. Mon médecin, qui est en fait mon oncle, a crié tellement fort que sa main tremble quand il rédige mon arrêt de travail en soupirant et en secouant la tête avec l’air de dire : « Mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire de toi ? » Une fois sortie de son bureau, je m’empresse de rejoindre l’accueil où son assistante, soit ma cousine, qui m’a préparé un grand verre d’eau, m’informe qu’elle a pris l’initiative de m’appeler un taxi pour rentrer chez moi. En gros, craignant un imminent burn out, il est hors de question que j’attende mes prochaines vacances pour aller me reposer. De toute façon, je n’ai plus aucune envie de partir dans un endroit huppé, accompagnée de mon groupe d’amies, avec lesquelles, soit dit en passant, je n’ai plus aucune affinité.

Comment en étais-je arrivée là ? Pourquoi avais-je voulu continuer à tout prix à foncer dans un mur alors que je savais très bien que mon corps ne tiendrait pas la route ? Il faut dire, pour ma défense, que ces derniers mois avaient été surchargés d’un point de vue professionnel, et je dois bien avouer que mon état de fatigue était supérieurement avancé. Je passe 80 % de mon temps libre soit sur mon lieu de travail, soit assise avec mon ordinateur portable au coin d’une table dans un café. En gros, comme me l’a si bien fait remarquer mon oncle tout à l’heure, je ne suis quasiment jamais chez moi et je n’en peux plus de la vie que je mène.

En résumé, j’occupe depuis cinq ans un poste important dans une grande entreprise de télécommunication et j’ai été nommée, l’année dernière, cheffe du service juridique. Je ne compte ni mes heures supplémentaires ni les jours de congés annulés à la dernière minute. Un premier déclic s’était pourtant produit alors que je traversais la rue sans prendre conscience de ce qui m’entourait, culpabilisant de sortir du travail à une heure décente. J’étais tellement dans la lune que j’avais failli me faire renverser par un tram sous les yeux d’une poignée de collègues et d’inconnus. J’avais fini par me rendre à l’évidence que je ne pouvais plus continuer comme ça… J’avais tenté, dans un premier temps, d’alléger mon planning au maximum. Inutile de préciser que mes bonnes résolutions avaient à peine tenu trois semaines et que j’étais très vite repartie dans la spirale infernale du « métro-boulot-dodo ». En tant qu’êtres humains, nous avons tous des limites à la résistance physique. Sans vouloir m’en rendre compte, j’avais sciemment ignoré les signes avant-coureurs que mon corps me lançait désespérément. Jusqu’au jour où… tout s’est effondré, indépendamment de ma volonté, et je n’avais pas eu d’autre choix que de me rendre en urgence, sans rendez-vous, chez mon oncle, à son cabinet.

De retour de ma visite médicale, une fois confortablement installée sur mon canapé, je compose la ligne directe de ma DRH qui me répond avec la plus grande bienveillance. Elle a bien sûr entendu des bruits de couloirs, comme quoi j’avais voulu, il y a quelques semaines de ça, me jeter sous un tram (propos déformés au fil des jours par le bouche-à-oreille). D’ailleurs, elle me dit qu’elle s’est bien rendu compte, ces derniers temps, que je n’étais pas au mieux de ma forme, et elle m’avoue qu’elle s’attendait à ce que je craque beaucoup plus tôt. De toute façon, à ce jour, je n’ai plus le choix. Je dois me reposer si je ne veux pas finir hospitalisée. Il en va de ma santé, aussi bien physique que mentale.

Comme promis à mon médecin, la première semaine, je passe mon temps à traîner de ma chambre au canapé, en mode repos et farniente. J’essaye en vain de rattraper une bonne partie de mes lectures en retard et je m’abrutis devant des émissions de téléréalité à deux balles, pour dormir de tout mon saoul. Je ne cuisine pas, je vais même jusqu’à ce qu’une entreprise vienne me livrer tous mes repas à domicile. Malheureusement, mon téléphone étant toujours à portée de main, je continue régulièrement de consulter mes e-mails, voire de dicter quelques instructions par mémo WhatsApp à ma secrétaire. Au début de la deuxième semaine, je ne supporte plus de rester inactive chez moi et je me rends compte que je ne me sens guère mieux. Je décide donc qu’il est temps pour moi de prendre l’air et de quitter Genève temporairement. Mais pour aller où ?

Je passe une bonne partie de la nuit suivante à me retourner comme une crêpe dans mon lit et à réfléchir aux opportunités qui s’offrent à moi. Cette fois, j’ai bien envie de mettre un grand coup de pied dans ma zone de confort. Je sens qu’il me faut absolument quelque chose qui sorte de l’ordinaire. Pourquoi ne pas tenter du loufoque, de l’aventure, de l’inconnu… ? Je n’ai franchement pas envie de passer des heures coincée dans un avion pour un dépaysement total et, selon où je décide de me rendre, il me faudra un visa d’urgence, ce qui s’avère impossible puisque je n’ai toujours pas pris le temps de refaire mon passeport. En y réfléchissant bien, avant-hier, j’ai ri aux éclats devant le film Camping. Tout à coup, cela me semble juste une évidence et je veux tenter ma propre expérience. Donc, ça sera camping pour moi !

Alors que l’aube se lève à peine, je me prépare un café bien fort et m’installe à mon bureau afin de trouver l’endroit idéal. Je passe plus d’une heure à présélectionner des destinations susceptibles de me plaire, sans nécessairement partir très loin, et mon choix s’arrête finalement sur un camping qui, au premier abord, ne paye pas de mine, mais qui correspond à tout ce que je recherche. Non seulement, il y a une piscine extérieure, mais en plus, la rivière Tarn coule à proximité, ce qui est parfait pour l’ancienne championne de natation que je suis et qui a, comme toujours, indéniablement besoin d’eau dans son environnement. Le destin m’a donc guidée sur le site du camping Les Rivages à Millau, dans l’Aveyron, et je décide de ne pas chercher plus loin. Comme les conditions me conviennent en tous points, sans plus attendre, je réserve pour une semaine complète un bungalow 4 étoiles. Une fois la confirmation reçue, je ressens un immense sentiment de fierté au fond de moi, et mon instinct semble me murmurer qu’il s’agit d’un premier pas vers une nouvelle vie. Comme je ne serai pas très loin de là où est parti vivre mon père, je compte ne pas le prévenir de ce voyage et lui faire la surprise de ma visite, une fois sur place.

La veille de mon départ, ne sachant pas quoi prendre avec moi, je me rends chez Decathlon, dans la zone industrielle de Meyrin, et j’accapare le premier vendeur que je trouve à bayer aux corneilles. Je lui demande de me conseiller et de me fournir tout le matériel nécessaire, soit : chaussures et bâtons de marche, deux ou trois tenues de randonnée, un grand sac à dos, une tente de camping avec matelas et sac de couchage, au cas où j’aurais envie de dormir en pleine nature, on ne sait jamais… Après avoir réglé et mis mes achats dans le coffre de ma voiture, je file à la Migros de Balexert afin de me constituer un minimum de provisions pour le voyage et pour le premier jour.

Mes amies n’en reviennent pas quand je leur annonce, plus tard dans la soirée, alors que nous nous sommes réunies comme tous les vendredis soir dans notre bar de prédilection, que non seulement je pars en vacances en solitaire, mais qu’en plus, je vais m’installer dans un camping pour une semaine. Elles m’ont tout de suite traitée de folle et prennent, sans se cacher, des paris entre elles sur le nombre de jours où je tiendrai loin du confort moderne. Elles prétendent qu’il ne me faudra pas plus de trois jours avant de rentrer me décrasser dans mon luxueux appartement. Je suis profondément contrariée de leur réaction et je me jure silencieusement de leur prouver qu’elles ont tort. D’ailleurs, je décide de rentrer chez moi en taxi, ayant pas mal bu et étant très énervée par le curieux discours qu’elles ont tenu toute la soirée. Même si nous nous connaissons depuis très longtemps, je sens bien, depuis quelque temps, que je m’éloigne de plus en plus d’elles. En résumé, est-ce moi ou elles qui sont en train de changer à ce point ? Je crois que pour le moment, je n’ai pas envie de le savoir.

Cela fait maintenant trois jours que je me suis installée dans mon bungalow, et déjà pas mal de choses se sont produites depuis mon arrivée en Aveyron. Premièrement, j’ai complètement ralenti mon rythme de vie, mon téléphone était éteint la plupart du temps et, ô miracle, je n’avais pas une seule fois tenté d’ouvrir ma boîte mail professionnelle. Deuxièmement, je prenais le temps de déjeuner le matin, de dormir autant que j’en avais envie, de me balader afin d’observer la nature, d’écouter le chant des oiseaux et le bruit de la rivière qui s’écoule tranquillement. J’avais même osé répondre aux « bonjour » de personnes inconnues que je croisais régulièrement sur ma route au camping. Troisièmement, je me suis même laissée inviter pour l’apéro par une famille de Belges qui loue le bungalow à côté du mien. Après une bonne heure de discussion sympathique à essayer de refaire le monde, ils insistèrent pour que je partage leur repas avec eux. Je dois dire que la soirée a été des plus intéressante, et cela m’a permis de découvrir une autre catégorie de personnes que je n’aurais peut-être jamais osé aborder en temps normal, enfin en tout cas, pas toute seule. Il faut dire que depuis toujours, mes amies, de par ma position sociale du côté de ma mère, ont toujours été plutôt « bourges », soit le genre à ne jamais se séparer de leurs sacs Michael Kors, de leurs bijoux achetés chez Bucherer, de leurs tailleurs Prada dernier cri, et côté chaussures, les fameuses Jimmy Choo étaient indispensables. Donc, inutile de préciser qu’à ce stade, je n’avais jamais fait de camping de ma vie et que c’était une grande première pour moi. Pour en revenir à mes compagnons de tablée, nous avons discuté jusqu’aux alentours de minuit et ils ont également été ravis de constater que les Suisses ne sont finalement pas tous aussi coincés et lents, comme on veut bien le leur faire croire. Quatrièmement, j’ai continué à me surprendre dès le lendemain matin où, sur un coup de tête et sur les conseils du gérant du camping, je me suis réservé une après-midi d’initiation à l’équitation. Je voulais d’abord y aller en douceur pour sortir de ma zone de confort et, par la suite, pourquoi pas m’offrir un vol en parapente avec un instructeur, si l’occasion se présentait. Bref, le but est d’y aller lentement mais sûrement afin de ne pas brûler les étapes.

Finalement, ce qui allait s’avérer être l’apogée de mes aventures s’est produit sur ma route de retour au camping, après avoir eu toutes les peines du monde à faire obéir mon cheval qui semblait n’avoir jamais goûté à l’herbe aveyronnaise jusqu’à ce jour. Je marchais tranquillement quand, au gré du hasard, un magasin de sport attira toute mon attention. Collée sur la porte d’entrée, une publicité vantait les mérites d’une excursion absolument unique sur une durée de 48 heures. Le programme incluait une demi-journée d’initiation au canoë ou au kayak, une baignade dans l’endroit le plus beau de la rivière Tarn, ainsi qu’une nuit en pleine nature sous tente, le tout accompagné d’un guide, qui nous bercerait de contes et légendes locaux au coin du feu. Sans réfléchir plus loin, j’étais entrée dans la boutique afin de prendre un peu plus de renseignements. La jeune femme derrière son comptoir était tellement ravie de ma demande qu’elle m’assura immédiatement que c’était la providence qui m’avait fait pousser la porte de son magasin, car un participant venait de se désister à la dernière minute pour l’excursion prévue le lendemain. Quelle force intérieure m’avait donc poussée à dire « oui » et à m’inscrire ?

 

 

Le jour du changement

 

Dès que la sonnerie de mon réveil retentit à 7 h 30, je me déteste. J’ai des courbatures dans tout le corps à cause de ce maudit cheval qui a refusé d’avancer lors de l’excursion d’hier. En plus de ça, impossible de m’asseoir sans faire la grimace. Merci l’initiation à l’équitation de la veille ! Vers 8 h, sans que je ne sache vraiment pourquoi, une profonde tristesse m’envahit sans prévenir. D’un seul coup, je me sens seule au monde et complètement perdue. Je ne comprends rien à ce qui m’arrive alors que quelques larmes se mettent à couler sur mes joues sans que je puisse les retenir. J’essaye de me remonter le moral en avalant un bon café accompagné de tartines, mais sans grand succès. Je me retiens de toutes mes forces d’annuler ma participation à cette excursion de 48 heures, à laquelle je regrette finalement de m’être laissée entraîner. À cet instant précis, je suis même prête à perdre les 200 euros que j’ai payés d’avance. Je traîne les pieds et je n’ai qu’une envie, boucler ma valise et rentrer de toute urgence à Genève. Même si ma raison me pousse à partir dans l’heure, mon instinct semble insister pour que je reste encore un peu, au moins jusqu’à la fin de l’excursion prévue. Et puis, en y réfléchissant bien, j’ai mon père à aller voir à Rocamadour ; même si je ne l’ai pas encore prévenu de ma présence dans la région, j’étais venue avec la ferme intention de lui rendre visite. Je tenais donc absolument à passer du temps avec lui, ainsi qu’à revoir nos chiennes, Selma et Nuka, qui commençaient à vieillir et à me manquer chaque jour. Si je décidais de baisser les bras et de rentrer maintenant, je ne pourrais pas lui faire la surprise et débarquer chez lui sans prévenir. J’ignore pourquoi, mais une petite voix intérieure me dit que je dois me reprendre et rester.

Bref, je prends mon courage à deux mains, je lave rapidement la vaisselle de mon petit déjeuner et je me pousse à préparer tout ce dont j’ai besoin dans mon sac à dos. J’empile comme je peux ma tente à une place, mon matelas gonflable (sans oublier la pompe…), mon pique-nique comprenant des grillades pour deux jours (bien installées dans une glacière), mon maillot de bain, un linge de bain en microfibre, etc. Une fois prête, c’est avec la boule au ventre que je ferme à clé mon bungalow et que je quitte le camping au volant de ma voiture, pour me rendre au lieu du rendez-vous.

Débarquant la première, soit un peu avant 9 h, je tente de vaincre ma timidité en discutant avec Luc, notre guide-accompagnateur. Les autres participants arrivent au fur et à mesure, et à chaque fois, nous devons recommencer les présentations. L’agacement me gagne de plus en plus lorsque je me rends compte que je suis la seule qui n’est pas accompagnée, et je deviens à limite du désagréable. Je finis par me détendre une fois installée confortablement dans le minibus avec ma musique dans les oreilles. Je décide sciemment de faire mon antisociale et de m’isoler dans ma bulle, même si je sais que ce n’est pas très poli pour le reste du groupe. De toute façon, je ne suis pas là pour repartir avec de nouveaux amis, ni pour faire des rencontres, j’ai simplement besoin de me changer les idées. Après environ deux heures de route, nous arrivons à notre point de départ, en amont de la rivière. Notre instructeur nous attend, les bras croisés, sur un parking qui se trouve non loin d’une grande cabane en bois. À l’intérieur, des canoës et des kayaks sont minutieusement rangés et disponibles à la location pour la journée ou pour quelques heures. Après avoir enfilé, à tour de rôle, nos nouvelles tenues sexy et collantes à la peau – des combinaisons adaptées pour une eau froide – ainsi que nos jolis gilets de sauvetage orange, l’instructeur nous demande quelle activité nous souhaitons faire. D’une nature plutôt peureuse, j’opte immédiatement pour une balade en canoë à deux. Au fond de moi, je suis ravie d’apprendre que l’instructeur en personne sera mon binôme, car au vu de la moyenne d’âge des autres personnes du groupe, soit environ 20 ans tout au plus, je me sens complètement décalée. Il me semble au premier regard que je suis la seule à avoir franchi le seuil de la trentaine ; enfin, je peux toujours me tromper…

Après quelques explications de base, nous nous installons dans nos embarcations et partons les uns après les autres. La rivière est plutôt calme et agréable. Au bout d’un moment, je plonge ma main dans la fraîcheur de l’eau et je n’ai qu’une envie : aller nager sans plus attendre comme je l’avais si souvent fait, au moins trois fois par semaine à la piscine des Vernets lorsque j’étais encore étudiante. Je ressens un léger pincement au cœur en repensant à cette époque d’entraînements intenses, ainsi qu’à ces montées d’adrénaline avant chaque compétition auxquelles j’avais pris part. J’imagine que mes trophées doivent encore se trouver entassés dans un carton dans le garage de ma mère, à moins qu’elle n’ait tout jeté quand mon père l’a quittée, deux mois après qu’elle a enfin daigné prendre sa retraite.

Au bout d’une heure de descente, ma timidité s’estompe peu à peu. Certains participants commencent à s’amuser entre eux à « qui sera le dernier à tomber à l’eau ». Mon moral semble de nouveau au beau fixe au contact de ces magnifiques paysages et je décide alors de laisser sortir ma bonne humeur. Mon enfant intérieur commence à se dérider et à passer en mode « grosse déconnade », comme si plus rien ne pouvait l’arrêter. D’un coup de baguette magique, je ne suis plus du tout la petite fille timide du début et je n’hésite pas à me lancer, avec la complicité de mon copilote, dans le jeu de « la dernière embarcation qui n’aura pas chaviré aura gagné ». Inutile de préciser que pour finir, personne n’est réellement vainqueur car nous passons tous dans la rivière les uns après les autres.

Vers 13 h 30, nous sommes définitivement trempés et frigorifiés jusqu’aux os, mais peu importe à ce stade car le contact semble de plus en plus fluide au sein de notre groupe. Notre instructeur m’aide à sortir de l’eau et à remonter dans notre canoë. Après 45 minutes, il m’indique un endroit précis où Luc, notre guide, nous attend avec nos sacs à dos et nos provisions. Je comprends que c’est ici que nous allons établir notre campement pour la nuit. Luc nous aide à sortir de nos embarcations à tour de rôle et les empile sur une remorque spéciale afin de les rapatrier à notre point de départ, plus tard dans l’après-midi. L’endroit où nous nous posons est magnifique, la rivière est calme et transparente. On pourrait se croire à Genève, sur les bords du Rhône aux alentours du Lignon. Luc commence également à préparer un endroit pour allumer un grand feu afin que nous puissions cuire nos grillades pour le repas du soir.

Après avoir partagé le pique-nique que nous avons individuellement prévu, nous décidons d’un endroit pour planter nos tentes et nous installer pour la nuit. Bien incapable de fixer un tableau au mur toute seule chez moi, j’essaye tant bien que mal de suivre les instructions pour dresser mon humble demeure. Je suis sur le point de renoncer et de dormir à la belle étoile, quand deux participants, plutôt beaux mecs, m’ordonnent de les laisser faire tout en roulant des mécaniques. Ils me semblent, à première vue, un peu jeunes pour moi, mais comme je me sens de plus en plus à l’aise, je décide de les laisser faire.

L’après-midi, je suis heureuse de constater que chacun peut entreprendre ce qu’il a envie et que rien n’est imposé. Pas de programme, pas de contraintes, juste de la détente au milieu de cette nature calme et magnifique. Malgré la fraîcheur de l’eau, la baignade remporte l’unanimité. Il faut dire que la chaleur semble assez exceptionnelle pour mi-juin. En ce qui me concerne, je décide de me rendre dans un coin tranquille, assez éloigné de la rivière et du groupe, pour téléphoner à mon père. J’ignore pourquoi, mais j’ai besoin de lui parler, ici et maintenant. Je n’ai plus du tout envie de lui faire une visite surprise et je compose son numéro. Dès qu’il décroche, après quelques minutes d’hésitation, je lui explique ma situation et il m’écoute lui confier ma vie et mon mal-être du moment. Je n’ai le droit à aucun reproche, il se contente de m’écouter sans m’interrompre afin que je puisse lui déballer tout ce qui j’ai sur le cœur. Il m’avoue finalement qu’il était déjà au courant, parce que son frère, soit mon médecin traitant, l’avait appelé pour le prévenir de mon état, et qu’il s’attendait à mon coup de fil, ou plutôt qu’il l’espérait. Je sens qu’il comprend tout à fait où j’en suis et il me propose d’ailleurs de venir passer quelques jours chez lui à Rocamadour, à la fin de mon séjour. Il souligne le fait que nous avons tous les deux besoin de passer du temps ensemble et de nous parler sans craintes, ni jugements, comme nous aurions dû, selon lui, le faire depuis longtemps. Il me surprend en me disant que je suis bien trop jeune pour la vie que je mène, que je n’ai nul besoin de vouloir être carriériste comme l’avait été sa femme, et surtout que je n’ai rien à prouver à personne. Effectivement, quand je pense à ma mère et à son travail qui comptait bien plus que sa famille, c’est une évidence pour moi que je n’ai aucune envie de passer à côté des petits plaisirs de la vie comme elle. Lorsque nous raccrochons, je me sens apaisée et comme soulagée d’un poids. Je retourne en direction du campement et je me pose au bord de l’eau pour finir le roman policier que j’ai commencé la veille. Alors que je me replonge lentement dans l’histoire, tout en repensant à la conversation que je viens d’avoir avec mon père, j’entends vaguement des pas discrets qui se rapprochent de moi. Je n’ai absolument pas le temps de réagir que Luc, notre guide, m’arrache mon livre des mains. Une poignée de secondes plus tard, quatre participantes me saisissent par les bras et les jambes, me soulèvent dans les airs tout en poussant un espèce de grand cri de guerre et me lancent à l’eau sans que je puisse réagir ou leur échapper. Non seulement j’ai encore tous mes vêtements, mais en plus, l’eau est profonde à cet endroit et plutôt glaciale. Alors que je me débats pour remonter à la surface, je me retiens de hurler une fois la tête hors de l’eau, alors que tout le monde, réuni au bord du rivage, rit aux éclats. Je tente de calmer ma colère et je repense au but de mon séjour : « apprendre à lâcher prise et vivre dans l’instant présent ». De toute façon, il allait de soi que je serais allée me baigner plus tard dans la journée, donc à la limite, les filles m’ont rendu service puisque je me trouve déjà dans l’eau. Je réalise à quel point je suis en train d’entamer un processus de changement au fond de moi quand ma colère se transforme en un immense fou rire.

Pendant que Luc s’occupe d’allumer le feu pour le repas du soir, les deux jeunes qui m’ont aidée à monter ma tente tout à l’heure enlèvent l’intégralité de leurs vêtements et plongent directement dans l’eau, dans le plus simple appareil. Très vite, les autres participants suivent le mouvement et, dans le feu de l’action, la jeune fille timide et prude qui dort en moi depuis des années ose sortir de l’eau pour retirer, à son tour, tous ses habits complètement mouillés et retourner se baigner sans craindre le regard des autres. N’avais-je pas parlé de faire du naturisme un jour ? Eh bien, je crois que sans le vouloir, mon vœu s’est exaucé de lui-même. Je dois bien avouer que c’est, une nouvelle fois, une révélation, dans tous les sens du terme. Depuis mon arrivée en Aveyron, je constate que tous les jours, il se produit des mini-progrès me concernant. Je prends gentiment conscience d’à quel point il est agréable de se baigner nue dans une eau fraîche, mais en plus, je suis indéniablement sortie de ma zone de confort. Pour une fois dans ma vie de trentenaire, je me sens en harmonie avec mes principes et je n’ai pas honte de mon corps. Je n’en reviens encore pas d’avoir osé ce que jamais je n’aurais cru pouvoir faire un jour. Je découvre petit à petit que je peux dépasser mes limites si je le souhaite vraiment et que la liberté a un sacré goût de légèreté. J’éprouve un sentiment de fierté et je comprends que je viens de franchir la première marche d’un important tournant dans ma vie.

En début de soirée, nous nous réunissons tous autour du feu afin de profiter de la chaleur et nous commençons gentiment à nous raconter nos vies. Une fois les braises bien chaudes, nous mettons machinalement toutes nos grillades en commun sur le grill prévu à cet effet. En résumé, peu importe qui a apporté quoi, il y a de tout à disposition, aussi bien de la viande que des légumes. Luc décide de sortir et de nous offrir quelques bouteilles d’un vin local fabriqué par l’un de ses amis alors que nous avons déjà apporté nos propres boissons, comme demandé lors de l’inscription. Une fois que nous sommes rassasiés et un peu guillerets par l’alcool, les quatre participantes qui viennent de Marseille et qui m’ont balancée dans la rivière tout à l’heure sortent de quoi se rouler deux ou trois joints. Luc ne leur fait aucune remarque et à son sourire, on comprend qu’il sera même ravi de tirer une taffe ou deux lui aussi. Tout en ravivant quelque peu le feu de camp, il commence à nous conter des légendes de la région qui se transmettent de génération en génération. Notre attention est très vite à son comble et c’est tout simplement comme si le temps s’était soudainement arrêté. Nous sommes tous assis en tailleur, à même le sol, tout autour du feu, emmitouflés dans nos couvertures et complètement absorbés par les paroles de notre accompagnateur. Les filles commencent à faire passer les « bédos » qu’elles finissent de fabriquer et nous fumons chacun notre tour. Très vite, l’ambiance devient comme dans un mauvais remake du film Blair Witch 2. Alors que nous sommes tous dans un état second, sous l’emprise de l’alcool et de la « beuh », Luc se lance dans l’imitation de cris d’animaux et de fantômes afin de rendre l’expérience encore plus flippante. Je passe indéniablement une excellente soirée, comme je n’en ai pas vécu depuis longtemps. Je suis complètement détendue et je m’amuse à imaginer intérieurement qui va finir dans la tente de qui cette nuit.

Aux alentours de minuit, alors que l’effet « fumette » se dissipe peu à peu, les participants me souhaitent bonne nuit à tour de rôle. Pour finir, je n’ai même pas la curiosité de voir qui s’invite chez qui, je m’en fiche royalement. Pour ma part, je suis tellement bien, assise par terre, protégée par ma couverture, que je n’ai aucune envie d’aller dormir. Je profite simplement du silence pour me recentrer sur moi-même et réfléchir à ce qu’engendrerait le fait de prendre un nouveau départ pour moi, une fois rentrée à Genève. Alors que j’entends le début de légers ronflements, j’écoute les bruits de la nature qui entame sa vie nocturne en me posant plein de questions.

« Qu’est-ce que je veux vraiment pour mon avenir ? »

« Est-ce que je souhaite me tuer au travail pour garder un train de vie qui ne semble plus me correspondre ? »

« Est-ce que je me sens encore à ma place dans mon groupe d’amies ? »

« Ma motivation profonde, celle qui, un temps, me donnait la force de me lever tous les matins, est-elle toujours bien présente au fond de moi ? »

« Est-ce que j’aime toujours autant mon emploi ? »

« N’ai-je pas rêvé de devenir journaliste un jour et de parcourir le monde ? »

« Suis-je réellement heureuse en fin de compte ? »

À ce moment précis, un souffle léger me caresse le visage et une chouette se met à hululer non loin de moi. Le doux son de l’eau qui coule paisiblement semble me bercer afin de me transporter dans un autre monde. Je me sens complètement apaisée et je sais qu’une importante réflexion intérieure est en train de se produire. Je suis tellement absorbée par mes pensées que je ne remarque même pas qu’une personne est venue s’asseoir sur une vieille souche tout près de moi. Pourtant, je ne l’ai ni vue ni entendue arriver. Son regard fixe la rivière et elle ne paraît nullement gênée par ma présence. Elle ne cherche pas non plus à entrer en contact avec moi et j’ignore ce que je dois faire. Peut-être suis-je simplement en train de rêver ? Mon instinct me force à me lever, à abandonner ma couverture, et me guide vers cet, ou plutôt cette inconnue qui n’appartient clairement pas à notre groupe. Je me demande bien ce qu’elle peut attendre ici, en pleine forêt, à une heure aussi tardive. Je me dirige vers elle en faisant un peu de bruit afin de lui signifier ma présence et je décide d’entamer la conversation.

— Bonsoir, pardonnez-moi de vous déranger, mais est-ce que tout va bien ?

Comme la réponse tarde à venir, je me rapproche encore de quelques pas afin de m’assurer que cette personne n’est pas en difficulté. Une fois face à elle, l’éclairage de la lune reflète une étrange lumière sur son visage et elle semble briller comme si elle était recouverte de paillettes. Mon regard croise celui d’une femme à l’air paisible, d’un âge que je qualifierais d’avancé, sans pouvoir vraiment le déterminer. Elle est vêtue d’une longue cape de couleur beige clair, bien usée par le temps, ainsi que d’une simple robe en laine d’un blanc délavé. Je vois qu’elle tient un long bâton en bois dans sa main gauche, qui doit très certainement l’aider à se déplacer. Elle porte également une magnifique bague mauve en forme d’étoile à son majeur droit. Je suis complètement subjuguée par la prestance de cette inconnue que je ne connais absolument pas, mais qui demeure à la fois mystérieuse et fascinante. Pourquoi ne répond-elle pas à mes questions ? Qui est-elle ? La fameuse Dame blanche, comme dans l’histoire que Luc nous a racontée tout à l’heure et que l’on aperçoit juste avant de mourir ? Un sentiment de peur m’envahit, je m’estime bien trop jeune pour quitter cette Terre.

— Vous vous sentez bien, Madame ? dis-je un peu plus fort, pensant qu’elle est peut-être sourde et qu’elle n’a pas entendu ma première question.

— Oui, je me sens très bien, commence-t-elle d’une voix douce. Je vous remercie de vous en inquiéter. Excusez-moi, je ne voulais pas vous déranger dans vos pensées tout à l’heure, j’avais juste besoin de me reposer cinq minutes avant de reprendre ma longue marche. Je vous en prie, continuez à réfléchir à votre avenir car il me semble que vous étiez sur la bonne voie.

Alors là, j’en reste bouche bée et je n’en reviens pas. Elle se promène seule dans cette forêt en pleine nuit, elle n’a ni sac à dos, ni chaussures à ses pieds, mais elle peut lire dans mes pensées ! Ai-je parlé à voix haute sans m’en rendre compte ? Cette inconnue m’intrigue de plus en plus et je veux en savoir davantage sur elle. Je décide de m’asseoir à ses côtés et je commence par lui poser de simples questions anodines.

— Vous habitez la région ?

— De temps en temps.

— Euh, mais… vous vous êtes perdue, peut-être ?

— Pas du tout, je me repose juste quelques instants avant de reprendre ma route.

— D’accord. Vous voulez boire ou manger quelque chose ?

— C’est gentil, mais je vous assure que tout va bien.

— Vous voulez peut-être une couverture ? Vous devez avoir froid.

— Je vous remercie pour votre sollicitude mais en ce qui me concerne, je n’ai besoin de rien. Continuez à faire comme si je n’étais pas là.

— Comment voulez-vous que je fasse comme si vous n’étiez pas là alors que nous parlons ensemble ?

— Vous avez entièrement raison. Alors dites-m’ en un peu plus sur vous, jeune fille. Cette région vous plaît-elle ? ajoute-t-elle après quelques secondes de silence.

— Oui, beaucoup. C’est la première fois que je viens en Aveyron et je dois dire que les paysages sont magnifiques. Mon père s’est installé à Rocamadour, il y a deux ans de ça, et jusqu’ici, je n’avais jamais pris le temps de venir le voir. En fait, je suis en vacances pour une semaine et je me suis installée au camping Les Rivages.

— Je vois. Rocamadour est une petite ville charmante, pleine de mystères et de légendes d’autrefois. J’y ai vécu pendant de longues années. Quel dommage que ce soit la première fois que vous veniez dans la région alors que votre père y réside.

— Je sais, c’est entièrement ma faute, j’aurais dû lui rendre visite depuis longtemps.

— Ne culpabilisez pas, ce n’était peut-être pas le bon moment tout simplement. En revanche, je sens une pointe d’accent étranger dans le son de votre voix. Je suis peut-être curieuse, mais d’où venez-vous ?

— Je viens de Suisse. J’y suis née et j’ai toujours vécu à Genève.

— Oh, je vois. Quel magnifique pays que la Suisse. Ma route m’y a conduite plusieurs fois ces dernières années, et je dois vous avouer que c’est toujours un plaisir quand une mission m’y conduit. Vous avez bien de la chance d’y vivre.

— Je suis totalement d’accord avec vous, j’aime profondément mon pays et ses régions tellement différentes les unes des autres, qui ont toutes leur propre beauté.

— Pourtant, vous me semblez épuisée, aussi bien physiquement que moralement, je me trompe ? Vous avez presque des garde-manger sous les yeux. Vous travaillez beaucoup, j’imagine ?

— Passablement, oui. Il faut dire que j’ai sous ma responsabilité une petite équipe et que je dois gérer plusieurs tâches en même temps. Il y a des jours où j’aimerais tout envoyer promener et n’être juste qu’une petite employée, sous les ordres de quelqu’un, afin de pouvoir quitter mon travail à des heures raisonnables. J’aimerais pouvoir débrancher mon téléphone quand je rentre chez moi, les rares fois où j’y suis, je dois bien l’admettre, et écouter le son du silence. Pour tout vous dire, mon médecin m’a mise en arrêt maladie et j’ai dû prendre des vacances en urgence parce que je…

— Vous étiez à deux doigts du burn out et vous avez bien fait, se permet-elle de me couper comme si c’était plus qu’évident.

— Euh, oui… exactement. Mais je ne comprends pas, comment est-ce que vous savez ça ? Nous nous connaissons ? Nous nous sommes déjà croisées ?

— Je ne crois pas, non, sinon je pense que je m’en souviendrais car vous êtes quelqu’un de très particulier. Vous dégagez un « je ne sais quoi » qui m’a attirée sur ce chemin et qui a fait que je suis venue m’asseoir sur ce vieux tronc pour vous parler.

— Moi ? Mais pourtant, je suis une personne comme les autres, tout à fait ordinaire, lui dis-je, étonnée.

— Ne croyez surtout pas ça, vous êtes quelqu’un d’absolument unique au monde. Vous savez, parfois, on ne comprend pas tout de suite les choses et tout ne s’explique pas avec des mots. Les personnes que je croise et qui font que je m’écarte de ma route pour les rencontrer sont des gens qui ont besoin d’aide et qui m’ont appelée au fond d’eux.

— Mais c’est dingue cette histoire, je ne vous ai en aucun cas demandé de vous arrêter ici. Et je n’ai absolument pas besoin d’aide pour le moment, je suis en vacances et je m’éclate.

— Je sais que cela peut paraître difficile à croire, mais seuls les gens qui le méritent peuvent me voir. Je suis ce qu’on peut appeler une Dame blanche. Normalement, j’apparais plutôt au détour d’un virage, au bord d’une route en pleine nuit.

— Pardon ? Vous êtes en train de me dire que vous êtes un fantôme et que je vais mourir ? Alors ça, c’est la meilleure. Eh les gars, réveillez-vous, je discute avec une revenante, venez voir, ça en vaut la peine !

J’entends Luc grogner avant qu’il ne sorte sa tête d’une des tentes, les cheveux en pétard, alors qu’il est encore à moitié endormi.

— Sanja, bon sang, c’est toi qui gueules comme ça ?

— Euh, oui… Je discute avec … votre nom, c’est quoi ?

— Maja, Mara, Marie, appelez-moi comme vous voudrez, me répond doucement ma voisine.

— Je cause avec Maja qui me dit qu’elle n’est autre qu’une Dame blanche et que je suis la seule à pouvoir la voir.

— Ouais ben à mon avis, tu n’aurais pas dû fumer avec nous parce que ça t’est grave monté à la tête. Pour info, Sanja, une Dame blanche, en plus d’être une légende urbaine, c’est un dessert et ça se mange. Cela n’existe pas, c’est comme le Dahu dans le Jura ou le Yéti dans l’Himalaya. Tout le monde aime en parler pour se foutre la trouille les soirs de pleine lune, comme ce soir par exemple, mais personne n’en a jamais vu en vrai. Je te confirme que tu es la seule à être encore dehors et que si tu causes à quelqu’un, ce n’est qu’à toi-même parce que je ne vois personne d’autre part toi. Allez, va te pieuter, tu vas finir par réveiller tout le monde.

Il redescend la fermeture éclair d’un coup sec tout en râlant et retourne se coucher. Je regarde ma voisine, ne sachant plus quelle attitude adopter vis-à-vis d’elle. Elle me tend sa main gauche que je prends dans la mienne, et c’est pourtant bien une main faite de chair et d’os que je serre.

— Mais qui êtes-vous ?

— Quelqu’un qui veut vous aider.

— M’aider ? Mais m’aider à quoi ?

— À prendre les bonnes décisions et à trouver votre chemin.

— N’importe quoi, j’ai déjà trouvé ma route.

— Ah, oui ? Et vous êtes heureuse dans votre travail ?

— Euh…

Quelques secondes de silence s’installent entre nous. De quel droit me pose-t-elle toutes ces questions ? J’ai l’impression de subir un interrogatoire, et lorsque je lui réponds, je suis légèrement sur la défensive.

— Oui, tout à fait. Je suis satisfaite de mon emploi.

— Vous en êtes sûre ? Réfléchissez bien Sanja, c’est important. Votre avenir va dépendre de votre réponse.

— Non mais vous avez fumé ou quoi ? Vous êtes complètement dingue ! Vous arrivez de nulle part, vous n’avez même pas de sac à dos, vous vous posez là, sur cette vieille souche toute pourrie, je suis la seule à pouvoir vous voir et vous venez me dire que vous voulez m’aider à trouver mon chemin ? Mais purée, vous êtes qui à la fin ? Vous êtes la Mort et vous venez me chercher ? Alors, allez-y qu’on en finisse !

— Je vous en prie, calmez-vous, dit-elle en serrant ma main qu’elle tient toujours dans la sienne. Je ne vous veux aucun mal et je sais que vous le savez très bien au fond de vous. Je ne suis pas là pour prendre votre vie, bien au contraire, je suis là pour que vous puissiez commencer à franchir les marches de votre changement de destinée. Il n’y a jamais de rencontres hasardeuses dans la vie. Je suis là pour vous guider afin que vous trouviez la force d’entreprendre une complète transformation ; telle est ma mission. Je suis quelqu’un qui tient à vous démontrer que l’argent ne fait pas le bonheur, même si pour vous, payer ses factures est essentiel et que vous n’êtes plus à votre place professionnellement parlant. Il est temps que vous appreniez à vous écouter et à vivre en harmonie avec vos valeurs. Le seul fait que vous soyez ici et maintenant, avec moi, est écrit quelque part. J’ai juste besoin que vous m’accordiez votre confiance et que vous m’ouvriez votre cœur. N’ayez pas peur de mettre des mots sur ce que vous ressentez. Laissez sortir vos émotions et faites-le maintenant.

D’un seul coup, je ne comprends rien à ce qu’il m’arrive mais la même vague de tristesse que j’avais ressentie ce matin m’envahit à nouveau, accompagnée d’une pointe de peur et de colère. Comment cette dame peut-elle me toucher en plein cœur, exactement là où ça fait mal ? Est-elle une magicienne venue d’un monde parallèle pour me parler de mon futur ? Non. En tout cas, je ne pleurerai pas devant elle, même si je sens que je peux lui faire confiance, et j’ignore pourquoi. Dès les premiers instants en sa compagnie, je me suis sentie à l’aise, ce qui ne m’était plus arrivé depuis longtemps avec une inconnue. Je ne suis pourtant pas quelqu’un de facile à apprivoiser, je n’ouvre pas mon cœur à la première venue et je ne sais même pas comment je suis capable de tenir sa main dans la mienne en ce moment. J’imagine qu’elle doit avoir un don de télépathie car elle ajoute :

— Pourquoi êtes-vous venue ici, dans l’Aveyron, Sanja ? Vous êtes seule dans un camping, alors que vous êtes jeune et que vous auriez très bien pu aller au Club Med comme le font généralement les célibataires de votre âge. Vous devriez être dans une discothèque remplie de beaux mecs à chercher le coup d’un soir…

— Alors là, je vous arrête tout de suite, ce n’est pas du tout mon genre.

— Quoi ? Le Club Med ou les coups d’un soir ?

— Les deux. Non mais vous me prenez pour qui ? conclus-je alors que cette fois, il m’est impossible de retenir mes larmes.

— Comment est-ce que vous vous sentez maintenant ?

— Non mais vous êtes vraiment sérieuse là ? À votre avis ? J’ai l’air de pleurer de joie ? Vous osez encore me poser la question ?

— Oui, je vous demande de mettre des mots sur vos émotions.

— Très bien, puisque vous insistez. Je me sens complètement perdue, franchement épuisée, genre au bout du rouleau et à la limite de me jeter dans le Tarn. Ça vous va comme ça ?

— Non, mais cela me prouve que j’ai bien fait de venir à vous. Est-ce que vous savez me dire pourquoi vous êtes dans cet état-là ?

— Certainement pas parce que j’ai gagné 50 millions à la loterie.

— C’est réconfortant en tout cas de savoir que vous avez encore de l’humour dans des moments difficiles, mais j’ai besoin de connaître la vraie raison…

— Parce que je n’en peux plus, je suis à bout de force.

— Ok, Sanja… Imaginez que je possède une baguette magique et que j’aie le pouvoir de vous projeter une année plus tard. Dites-moi ce qui a changé pour vous ?

— Pfff, c’est quoi ces questions à la con ? Vous voulez vraiment que j’y réponde ?

— Oui, j’aimerais beaucoup.

— Ok, ok. Donc… dans un an… j’aurai passé du temps avec mon père, je lui aurai dit combien je l’aime et combien il me manque et que je regrette de ne pas être venue le voir plus tôt. J’aurai posé ma démission en rentrant de vacances, j’aurai envoyé chier mes amies qui n’en sont plus depuis un bon moment. J’aurai vendu mon appartement et j’aurai voyagé pendant deux mois en Bretagne et en Normandie.

— Mais Seigneur, Sanja qu’est-ce qui vous empêche d’aller explorer le monde et de parler à votre père ? s’exclame-t-elle, surprise.

— Mon travail, mes factures, mon loyer, mon leasing de voiture, mes privilèges au Mango Club, mon bateau sur le lac, mon ordinateur, mon téléphone portable, mon iPad et le programme minceur que je viens de commencer.

— Ouhhh là, mais qu’est-ce que c’est que tout ça ?

— Ma vie, conclus-je d’un simple haussement d’épaules.

— Eh bien, je comprends mieux maintenant pourquoi vous avez autant de noir sous les yeux et pourquoi votre aura ne brille que très faiblement. Tout ce que vous venez de m’énumérer n’est que du matériel, qui peut très bien disparaître à tout instant. Et votre vie amoureuse, où se situe-t-elle ?

— Absolument nulle part, c’est le vide complet depuis des années.

— Sanja, je vous en supplie, il faut absolument vous réveiller avant qu’il ne soit trop tard. Je ne sais pas pourquoi mais je sens un fort potentiel en vous, une grande intelligence, ainsi qu’une capacité à comprendre et à percevoir les choses. Vous avez une passion que vous vivez secrètement parce que vous avez peur qu’on vous juge et vous vous empêchez de la vivre pleinement… Alors que moi, je la sens vibrer au fond de vous, comme les quatre saisons de Vivaldi.

— Bon Maja, ça suffit ! Qu’est-ce que vous voulez à la fin ?

— Je voudrais que vous fassiez le bon choix et que vous preniez la bonne direction. Je ne veux que votre bien et je vois clairement que vous n’êtes pas heureuse dans votre vie actuelle. Il est grand temps que vous preniez soin de vous, que vous arrêtiez les dégâts sur votre santé et que vous viviez librement de vos projets.

— Mais c’est tout bonnement impossible, j’ai tellement de factures à payer à chaque fin de mois que si je n’ai pas un minimum de revenus fixes, je ne pourrai jamais m’en sortir. Et tous ceux à qui j’ose parler de me lancer en tant qu’auteure m’assurent qu’écrire n’est pas un métier.

— Oh là, je ne suis pas sûre que certains écrivains se sentiraient flattés par cette remarque. Je crois simplement que vous ne vous posez pas les bonnes questions.

— C’est-à-dire ?

— Est-ce que vous avez vraiment besoin de tout ça ?

— (Resoupire et re-larmes) De tout ça quoi ? finis-je par lui sortir entre deux sanglots.

— Sanja, vous êtes jeune et peut-être que vous avez suffisamment d’économies pour vivre pleinement sur vos réserves, au moins pendant quelques temps. Et puis, si cela ne devait pas fonctionner pour vous en tant qu’auteure, vous pourriez toujours retrouver un travail dans une autre entreprise avec votre expérience. Si écrire est votre passion, il y a des millions de façon d’en vivre. Vous pourriez être journaliste-reporter pour Géo Magazine, comme ça, vous pourriez voyager autour du monde tout en gagnant de l’argent, ou pourquoi pas devenir chroniqueuse pour Le Guide du Routard. Je vous verrais bien être la personne qui déniche des bons plans pour les gens aimant voyager à petits prix et qui seraient ravis de découvrir un pays ou une région à travers vos propres mots. Autrement, vous pourriez devenir biographe ou mettre sur papier des récits de vie extraordinaire. Qu’est-ce que vous en pensez ?

— Je n’en sais trop rien, je ne sais pas si je pourrais y arriver.

— Qu’est-ce que vous en savez si vous n’essayez pas ? Personnellement, je suis certaine que vous en êtes capable. Il suffit simplement de croire en vous et en vos capacités. Vous pouvez le faire, vous possédez toutes les ressources nécessaires et vous savez pertinemment que j’ai raison. N’est-ce pas ?

— Ok, dis-je en lâchant un profond soupir tout en séchant mes larmes du revers de mes mains. Je dois bien l’admettre, vous lisez en moi comme dans un livre ouvert. C’est un peu troublant comme situation, non ?

— Alors, à mon avis, vous savez ce qu’il vous reste à faire en rentrant de vos vacances.

— Je ne pensais jamais le dire un jour, mais oui, vous avez raison. Dès que je serai de retour au travail, je poserai ma démission et je commencerai à corriger mon manuscrit qui dort dans un de mes tiroirs depuis trop longtemps. J’ai même une petite idée de changement au niveau de l’histoire que je ne trouvais pas assez complexe.

— C’est génial, enfin on y est ! Bravo Sanja, je vous félicite, c’est ce que je voulais entendre, mais c’était à vous de poser le pied sur la première marche. Je savais très bien qu’il y avait un roman que vous n’aviez jamais osé publier. Je suis vraiment très fière de vous. Il fallait que ça sorte. Et maintenant, comment vous sentez-vous en ayant pris cette décision ?

— Ah non, vous n’allez pas recommencer !

— Mais si, tout à fait. Non seulement je continue, mais je veux ma réponse.

— D’accord, vous avez gagné. Je suis à la fois détendue, sereine, confiante, libérée… bien, tout simplement.

— Alors, c’est que j’ai rempli ma mission et que je dois m’en aller.

— Oh non, je vous en prie, vous ne pourriez pas rester encore un peu ? Vous êtes tout simplement magique. En peu de temps, vous avez cassé ma carapace, gagné ma confiance et je n’ai aucune envie que vous partiez. Et puis, on vient tout juste de se rencontrer et j’ai tellement de choses à vous dire. Tenez, je viens d’avoir une super idée. Et si j’écrivais votre biographie, qu’est-ce que vous en dites ?

— J’aurais franchement adoré discuter avec vous toute la nuit Sanja, mais il faut que je reprenne ma route pour aller aider quelqu’un d’autre. C’est mon destin. Quant à ma biographie, comment voulez-vous écrire l’histoire de quelqu’un qui n’existe pas ?

— Mais vous existez Maja, je le sais, je le sens. C’est votre main que j’ai dans la mienne depuis tout à l’heure.

— Effectivement, d’ailleurs, je viens d’y déposer un cadeau pour vous, dit-elle en refermant mon poing.

Lorsque j’ouvre lentement ma main, je découvre dans ma paume un tout petit morceau de bois. En une fraction de seconde, il se transforme en un stylo orange à capuchon, de taille moyenne et avec des finitions que je suppose être en or. Je n’en reviens pas, il est juste magnifique et je suis profondément émue.

— Orange, c’est bien votre couleur préférée, n’est-ce pas ?

— Je, oui… Mais comment avez-vous su que… ?

— Vous savez Sanja, avec les années d’expérience, je devine beaucoup de choses. Il vous sera très utile quand vous devrez dédicacer vos livres, un jour ou l’autre, croyez-moi.

— Merci infiniment, je ne sais vraiment pas quoi dire. Est-ce qu’on se reverra un jour ?

— J’en suis certaine, affirme-t-elle tout en m’adressant un chaleureux sourire.

Dans un soupir, elle prend appui sur son bâton afin de se mettre debout. Sans réfléchir, je la retiens par la manche de sa cape. Elle se retourne, un peu surprise par ma démarche, surtout quand je me lève à mon tour et que spontanément, je viens la serrer dans mes bras. Je n’ai vraiment aucune envie de la voir partir et incontestablement, je cherche un moyen de la retenir. Je sais qu’elle est réelle, que je ne rêve pas, car je tiens bien une personne vivante et humaine contre moi. Je lui murmure de la façon la plus sincère, sachant que ce sont très certainement nos derniers instants ensemble :

— Je ne sais pas comment vous remercier d’avoir croisé ma route. Vous êtes un ange, un ange venu du ciel. Quoi qu’il arrive, je ne pourrai jamais vous oublier.

Elle me répond tout en se dégageant.

— Merci à vous Sanja de m’avoir appelée, et sachez que je suis touchée par vos paroles et par le geste que vous venez d’avoir envers moi.

— Pourtant, je n’ai rien fait d’extraordinaire. De quel geste parlez-vous ?

— Eh bien, vous venez de me serrer dans vos bras et en l’espace d’une seconde, j’ai eu l’impression d’exister.

— Mais… vous existez, je vous assure. Je viens de vous toucher.

— En êtes-vous certaine ? … Allez, il faut vraiment que je parte maintenant, je dois vous laisser pour reprendre mon chemin. Mais faites-moi plaisir, allez prendre un bain de minuit dans la rivière. Éclatez-vous ! Soyez folle ! … Il semblerait qu’on ne vive qu’une fois, conclut-elle en se remettant en marche sur l’appui de son bâton. Ah… encore une chose, ajoute-t-elle en se retournant dans ma direction, n’oubliez pas de dire à votre père, quand vous le verrez, combien vous l’aimez et combien il vous manque. Et puis, écoutez-vous, prenez un chien, cela vous permettra de faire des pauses régulières quand vous écrirez pendant des heures d’affilée, conclut-elle en me faisant un clin d’œil.

À cet instant, je frissonne comme si la température avait soudainement chuté de 4 ou 5 degrés. Elle se retourne et sans que j’entende le bruit de ses pas sur le chemin, elle se dirige vers l’arbre le plus proche d’où nous nous trouvons. Elle lève les bras au ciel et commence à s’exprimer dans une langue étrangère. Une porte se dessine soudain sur le tronc et s’ouvre au moment où elle baisse les bras. Elle se retourne une dernière fois dans ma direction et m’adresse un simple signe de la main. Une lumière blanche et aveuglante apparaît d’un seul coup, m’obligeant à fermer les yeux quelques instants. Lorsque je les ouvre à nouveau, je tiens fermement dans ma main le stylo orange qu’elle vient de m’offrir. Quant à elle, elle semble avoir disparu. Je regarde autour de moi pour voir si quelqu’un d’autre a assisté à la scène, mais seuls les légers ronflements des autres participants semblent venir briser le silence qui règne dans ces bois. J’en conclus qu’elle a dû repartir aussi soudainement qu’elle était venue. Sans réfléchir, j’ôte rapidement mes vêtements, je prends une profonde inspiration et entre progressivement dans une eau glaciale au vu de l’heure tardive. Au fond de moi, je me fais la promesse que c’est mon premier bain de minuit mais pas le dernier. Je prends également une grande décision. Demain, de retour au camping, je commencerai à rédiger le brouillon de ma lettre de démission.

 

Une année après le jour du changement

 

— Tout est prêt, Sanja. Tu peux tranquillement te mettre en place. Les gens commencent à s’agglutiner devant les portes de la librairie.

— Est-ce qu’on a assez d’exemplaires en stock ?

— Oh, oui. Il en reste 150 dans l’arrière-boutique, plus 50 qui sont prévus pour les dédicaces, et il doit y en avoir 50 autres entre la vitrine, l’exposition sur l’îlot central et, sauf erreur, il doit très certainement en rester sous les caisses. Relax, ma grande, tout va bien se passer. Détends-toi !

— Bon, ben, je crois qu’on va pouvoir y aller. Vas-y, lâche les fauves, dis-je à mon éditeur en rigolant.

Il signale à la gérante, que les portes peuvent maintenant être ouvertes. Les gens se précipitent pour s’arracher un exemplaire de mon premier roman La Dame du Tarn et commencent à faire la queue devant ma table de dédicaces. Au bout de la quinzième personne, tout en voyant que la file d’attente s’agrandit jusque dans la rue, j’ai à peine le temps de relever la tête pour demander à quel nom je dois dédicacer mon livre. Alors que je m’apprête à faire une petite pause pour boire un peu d’eau, la personne suivante me sourit et son regard capte toute mon attention. Elle m’adresse un chaleureux « Bonjour Sanja », comme le ferait quelqu’un de mon entourage direct. Les traits de son visage me rappellent vaguement quelqu’un, mais impossible de dire exactement qui. Son apparence physique ne me dit absolument rien. Elle est de taille moyenne, elle a de long cheveux blonds, des yeux bleus, elle semble plutôt jeune et vraiment très mince. Pourtant, elle continue de s’adresser à moi comme si nous nous connaissons.

— Je suis vraiment très fière de vous, vous méritez amplement tout ce qui vous arrive.

— Merci, c’est gentil. Pourquoi est-ce que j’ai l’impression de vous connaître ?

— Mais parce que nous nous sommes déjà croisées.

— Ah, c’est bien ce que je pensais. Je suis vraiment navrée, mais là, comme ça, je ne me souviens pas de vous.

— Ce n’est pas grave, avec tout le monde que vous devez voir passer, depuis quelques semaines, c’est absolument normal.

— Sanja, grouille-toi, les gens s’impatientent, me presse discrètement mon éditeur en me tapant gentiment sur l’épaule.

— Votre livre, je le dédicace à quel nom ? dis-je en posant mon stylo sur la première page.

— La Dame du Tarn ou la Dame blanche, comme vous le sentez.

Je relève brusquement la tête, sans vraiment comprendre ce qui se passe. Et là, tout d’un coup, je sais qui elle est. Je ne peux que lui sourire chaleureusement en retour car les mots me manquent pour lui transmettre une fois encore toute ma gratitude.

— Ou tout simplement, Maja, si vous préférez, ajoute-t-elle en me faisant un clin d’œil.

— J’avais bien compris. D’ailleurs, je vous remercie une fois encore pour tout ce que vous avez fait pour moi. Vous avez été le tournant de ma nouvelle vie et je suis heureuse aujourd’hui de pouvoir vous le dire en face.

— Je vous en prie Sanja, mais c’est vous qui avez fait tout le travail. Je vous avais bien dit que vous en étiez capable et qu’on se reverrait. Je suis ravie de voir que vous avez toujours votre stylo orange avec vous. J’aime beaucoup votre nouvelle coupe de cheveux et j’ajouterai même, si vous me le permettez, que cette touche discrète de maquillage vous va très bien. Y aurait-il enfin un homme dans votre vie ?

— Lisez-mon livre et vous aurez toutes les réponses à vos questions.

— Parfait Sanja, ne lâchez rien ! Un jour, je reviendrai… pour votre deuxième roman, très certainement.

— Mais j’y compte bien, Maja, j’y compte bien. Alors je vous dis à bientôt, conclus-je en lui tendant mon livre dûment dédicacé tout en lui faisant un clin d’œil à mon tour.

 

 

 

 

FIN

 

Commentaires (0)

Cette histoire ne comporte aucun commentaire.

Laisser un commentaire

Vous devez vous connecter pour laisser un commentaire