Créé le: 28.05.2020
98 0 2
L’été

Nouvelle

a a a

© 2020-2024 Caroline Renard

© 2020-2024 Caroline Renard

Un été d'avant où l'on pouvait flirter ou non. Une époque révolue lorsque le danger n'était pas la Covid 19, mais le terrorisme ...
Reprendre la lecture

– Le soleil est le même partout, s’exclame Jean lors d’une discussion entre amis sur les différents climats des régions du pays.

– Le soleil, oui, c’est le soleil, mais son intensité et sa lumière diffèrent que l’on se trouve au nord ou au sud des Alpes, rétorque Michel. Et il poursuit :

– La lumière argentée privilégie les gris, les bleus pâles, l’humidité, les prairies, les forêts verdoyantes et les peaux blanches des indigènes. La lumière dorée, celle du sud, donne son éclat à la terre ocre, au blé sec, aux arbustes arides, aux peaux brunes et au teint hâlé.

 

Même à Nice le ciel est gris en été quand il pleut.

 

La mer bleu azur par beau temps devient d’un bleu outremer voire vert bouteille presque noir, par vilain temps. Et certaines personnes, comme d’habitude se rendent à la plage. Les parasols retiennent les gouttes et non plus les rayons. Les vagues, larges, hautes, irrégulières se jettent sur le sable :

– Zzzzbou, zzzzzbou, zzzzzzzBOOU

 

Au loin deux petits voiliers profitent encore de la brise marine. L’un montre des voiles blanches traditionnelles, l’autre gonfle ses toiles rouges qui surprennent, étonnent, ravissent l’œil du peintre. Et ces couleurs des voiles rappellent bien sûr la voile noire, funeste, annonçant à Tristan et à Égée la mort pour l’un de l’aimée, pour l’autre du fils.

 

Une jeune mère avance sur la plage malgré la pluie ; elle installe son petit garçon de deux ans dans un étroit bateau pneumatique bleu qui oblige l’enfant à se tenir assis et dont les jambes doivent se recroqueviller. Mère et enfant ont chacun un parasol.

– Voilà ton seau, ta pelle, tes petites voitures. Amuse-toi bien, mon chéri prononce la maman.

Sur ces paroles elle se met à feuilleter son journal de mode. Dylan s’amuse tranquillement et sagement dans sa prison dorée.

 

Même à Nice, le ciel est gris.

 

Vers la fin de l’été, la femme aux cheveux châtain clair, Coralie, à la peau de rousse prompte aux rougeurs et aux minuscules taches brunes décide de longer le Rhône jusqu’à la mer.

 

Dans le nord, l’histoire commence dans une quincaillerie. Il ne s’agit pas de la caverne d’Alibaba où l’on trouve dès l’entrée des balais, des pelles, des paniers en osier, des cadenas aux différentes grandeurs, mais d’une échoppe lumineuse avec son comptoir en verre, ses étagères métalliques et ses armoires sur rails hautes et profondes qui se tirent de la main gauche ou de la main droite. Coralie doit changer le tuyau de sa douche qui fuit. Derrière le bureau, cet homme fin de type italien, vêtu d’une chemise rose, fraiche, le cheveu foncé se retourne, semble surpris et sert Coralie.

– Cet homme me plaît, se dit-elle tout en relevant les épaules et en laissant jouer ses mains discrètement.

 

De retour chez elle, la jeune femme célibataire se rend compte que le tuyau de douche ne convient pas à son installation. Elle retourne à la quincaillerie. En la voyant entrer, l’homme s’approche rapidement et lui propose un autre modèle. Il lui tend une carte de visite comportant son nom et le numéro de téléphone de l’entreprise au cas où elle rencontrerait un problème. Et cette fois, la courte rencontre avec le bel homme déstabilise Coralie : de petits papillons, telles des mites, volent et virevoltent à l’intérieur de son corps. Le pas devient léger et le sourire béat. De retour dans son appartement, elle s’installe tout de suite à sa table et un clic suffit à lui donner des informations sur la personne… L’esprit s’emballe, mais deux rêves, deux nuits de suite redonnent à Coralie la ligne de vie à suivre et lui suggèrent un déplacement, un changement d’air.

 

Le premier rêve montre une scène de nature : le long d’une voie pédestre en été, un groupe de personnes se repose d’une marche à pied, sur les rebords de terre d’un sentier à la lisière d’une forêt de feuillus. Tout à coup, la dormeuse visionne un serpent gris épais, long qui se faufile entre les randonneurs assis et elle informe du danger en criant d’une voix effrayée :

–  Attention, un serpent !

Un homme se déplace légèrement sur sa gauche et le serpent disparaît. Dans l’interprétation du songe la sexualité n’est pas à mésestimer.

 

La nuit d’après, c’est une avalanche, blanche, puissante, pesante et bruyante qui glisse du haut d’une pente verticale. En bas de la masse neigeuse, une ouverture ressemblant à une arche ouvre le passage à Coralie ; elle est saine et sauve. La voilà informée d’un péril ; elle peut se laisser emporter ou choisir le chemin de la sécurité, de la sortie.

 

Et peut-être qu’un premier rendez-vous aura lieu au restaurant « La Truite » quelque temps plus tard lorsque Coralie aura pris son courage à deux mains pour retourner se faire servir à la quincaillerie ; les cartes de visite s’échangeront et un coup de fil de l’homme conduira à un premier rendez-vous.

 

En femme indépendante, elle arrivera en voiture. La terrasse sera préparée ; les tables dressées de nappes blanches reflèteront le brillant des verres en cristal et de l’argenterie lustrée. Elle et lui n’auront plus qu’à s’asseoir l’un en face de l’autre, – petite robe noire classique pour elle, costard clair sans cravate pour lui. Les propos d’un début de relation seront bien empruntés :

– C’est un beau restaurant qui a une tradition, s’exclamera Thomas. Nous y venions déjà avec ma famille quand j’étais enfant.

– Je n’y suis jamais venue, mais j’en connaissais le nom. Je suis ravie d’être là : la vue sur le lac, le château et l’autre rive est magnifique. Elle pensera au mot « romantique », mais elle ne l’utilisera pas.

Thomas prendra délicatement, galamment la main soignée jusqu’au bout des ongles placée le long du couteau, la caressera sensuellement et le jeu de la séduction pourra commencer ou non.

 

Coralie a pris sa décision. Elle part. En vacances. Elle est assise dans le train. À proximité de son siège à place unique, de l’autre côté du couloir, les voyageurs ont la possibilité d’entreposer et de fixer leurs vélos. Un couple accompagné de ses bicyclettes entre dans le wagon. Les deux jeunes adultes transpirent et l’homme dégage une forte odeur de corps mal lavé. La jeune fille, mince, souple, court vêtue, brune de teint et l’œil noir tel celui d’une bohémienne, s’installe. Elle pose négligemment sur le sol le sac de toile qu’elle porte à l’épaule. Elle dégrafe alors sa jupe et tout à coup en habit de sport, elle commence à pratiquer des exercices de yoga contre la barre de sécurité fixée le long de la fenêtre. Le jeune homme entre dans la danse. Les deux corps forment des figures et finalement fatigués, les deux amoureux se posent sur un matelas de camping. Main dans la main, elle, fine, jolie et lui plutôt fruste, ils s’endorment.

 

Les voyageurs regardent ce couple extravagant d’un œil mauvais. Le regard est chargé, lourd, mais pas une parole ne sortira de ces bouches tirées vers le bas et contrariées. Coralie sourit à la jeune fille, pense que cette dernière trouvera un petit ami qui lui conviendra mieux et elle se réjouit de l’insouciance de la jeunesse.

 

Coralie poursuit sa route en descendant la vallée du Rhône. Le TGV prend la relève du RER dans l’ancienne capitale de la Gaule. Carrefour important au centre du pays, la ville et sa gare sont protégées par des soldats à l’uniforme kaki et portant la mitraillette en bandoulière, le canon serré entre les doigts et l’index placé en veille sur la gâchette.

 

Elle entre dans le compartiment du train. Les touristes encombrent le passage avec leurs grosses valises. Elle trouve finalement sa place réservée, s’assied, quand tout à coup un jeune homme élancé et de type africain s’installe avec la souplesse et la rapidité d’une panthère à côté d’elle. Peu avant le départ, une jeune femme compare le numéro inscrit sur sa réservation aux chiffres correspondant aux sièges ; elle a trouvé mais la banquette côté couloir est occupée. Elle revendique sa place et libère ainsi Coralie d’une odeur de corps proche de la puanteur. La conversation s’engage entre les deux femmes ; l’esthéticienne encore en formation cherche à gagner quelque argent de poche en se rendant au bord de la mer pour seconder pendant les vacances une maman de trois enfants en bas âge. Juive de confession, la jeune fille au pair cache ses jambes sous une longue robe grise en lainage et à quelques kilomètres de sa destination, elle sort sa trousse de maquillage. En moins de cinq minutes et par quelques coups de pinceau, elle transforme son visage de jeune fille, sage au naturel, en une pin-up de magazine. Elle demande à Coralie de lui tenir un petit miroir car elle utilise les deux mains : l’une pour tenir l’œil, l’autre pour marquer le trait sur la paupière.

 

Coralie arrive à son tour à destination dans la cité balnéaire. De la gare, elle se rend à l’hôtel, dépose sa valise et se rend au bord de l’eau pour respirer l’air marin. Les yachts sont immobilisés au port. Les vacanciers déambulent sur le quai et observent les ponts des bateaux coûteux et luxueux. Le mocassin, le nu-pied, la tong, le croc donnent des indications sur le nombre de personnes présentes à bord. Mais ne nous trompons pas, les femmes n’abandonnent pas leurs talons aiguilles sur la terre ferme, au pied de la passerelle. En revanche, elles se montrent sur la terrasse, le verre à la main ; elles rient fort et elles sont souvent en nombre plus élevé que les hommes. L’obscurité tombe, les lampes s’allument et la fête se poursuit peut-être tard dans la nuit.

 

Dès neuf heures du matin, la principale rue touristique s’anime. Les stores métalliques sont remontés, les vendeurs préparent leurs étalages. On trouve de tout dans le quartier : souvenirs traditionnels, poisson, viande, sandwiches, salades, fruits frais. Les chapeaux, les casquettes et tout autre couvre-chef s’exposent sur des tourniquets métalliques à plusieurs étages. Un couturier, assis à même la rue derrière sa machine, coud à toute vitesse un prénom, une fleur sur un chemisier ou un bout de tissu. Les serveurs attirent les clients sur le devant des terrasses : saveurs de Provence, moules-frites et l’incontournable kebab.

 

En fin de journée, Coralie emprunte cette même ruelle et elle n’en croit pas ses yeux ; les robes courtes d’été ne flottent plus sur les jambes bronzées, le short et la casquette sont restés au vestiaire, à l’hôtel. C’est un monde froid et glacial qui s’impose alors à elle : les stores des échoppes sont tirés et les mendiants, assis à même le sol, tête baissée, le dos appuyé contre les murs des maisons, attendent que le rare passant dépose sa pièce de monnaie dans le gobelet en plastique. Coralie presse le pas, ne s’attarde pas. Attristée, privilégiée.

 

Coralie longe la mer sur la Promenade. Sandales à la main, elle descend vers la plage et avance les pieds dans le sable. Elle enlève sa robe légère, le noir du maillot de bain relève son teint légèrement hâlé ; le fichu de la même couleur, noué sur la tête, la fait ressembler à une Corse. Elle entre dans la mer. De froide, l’eau passe rapidement à agréable. La baigneuse se laisse porter et cahoter par la vague ; elle tend l’oreille :

–  zzzbou, zzzbou et d’autres sons lui parviennent du lointain :

– vr,br … vr,br… gémissent les scooters lancés sur la Promenade.

– Hi,hi,hi… fait le rire des jeunes filles en fleur qui bronzent sur la plage.

 

Coralie ouvre les bras, les referme, fait une brasse, une deuxième ; seule, elle avance, elle respire, elle vit.

Commentaires (0)

Cette histoire ne comporte aucun commentaire.

Laisser un commentaire

Vous devez vous connecter pour laisser un commentaire