Créé le: 02.11.2018
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Violette rêve, Violetta vit (37) Violetta

Roman

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«O toi, art sacré, que de fois aux heures tristes où la vie resserrait son étau, m’as-tu réchauffé le cœur.» Schubert: An die Musik
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« O toi, art sacré, que de fois aux heures tristes où la vie resserrait son étau, m’as-tu réchauffé le coeur” Schubert: An die Musik

 

La jeune cantatrice reste immobile, une gerbe de roses dans les bras, et son bonheur est celui de tout le public de la Scala de Milan qui l’ovationne depuis plusieurs minutes. Ce soir elle a chanté avec toute son âme, au sommet de son art et sans regret. Elle a atteint cet unique lieu où les innombrables points de la tapisserie font apparaître l’ébauche de l’œuvre tout entière. Isolée dans l’éclat des projecteurs, elle se sent transportée à l’origine du monde, lorsque la nature est offerte dans sa primordiale beauté à l’œil qui la découvre. Elle foule des terres vierges et se désaltère à la source des torrents. Elle parcourt les déserts, les villes, les champs et les forêts. Elle franchit les rivières, les océans ; les glaciers et les montagnes. Elle laisse ses empreintes dans les sols fertiles et le vent emporte son nom. Elle a froid l’hiver et se laisse rouler dans les vagues de l’océan sous le soleil brûlant. Elle s’enivre du parfum des premières fleurs et vendange le raisin doré. Elle se promène avec les bêtes sauvages et son chant ressuscite les corps. Elle est Violetta.Le chemin qui reste à parcourir sera long ou court, semé d’embûches et de résultats, dans l’ombre et dans la lumière mais rien ne l’arrêtera. L’énergie créatrice qu’elle a contactée en elle sera désormais son moteur. Elle n’a plus peur car pour la première fois, elle a reconnu sa voix. Et le public l’a entendue.

Pendant le dernier morceau, le Lied de Schubert intitulé « A la musique », elle n’a pas quitté des yeux l’homme assis au premier rang qui tient sur ses genoux une enfant de cinq ans dont les yeux brillent de plaisir. Violetta envoie un tel message d’amour à celui qui a su la conduire au-delà d’elle-même que toute la salle disparaît dans un silence religieux ; ils sont seuls, unis par un lien de reconnaissance éperdue. L’aura de lumière dans laquelle ils baignent illumine l’interprète et la douceur avec laquelle elle remercie « l’art sacré de lui avoir ouvert d’autres cieux » plonge les auditeurs dans un moment d’intimité profonde. Le silence qui suit la dernière note prolonge la musique que chacun a jouée dans son âme. Puis il y a cette longue ovation où la jeune femme laisse éclater sa joie. Dans le fond de la salle, un homme âgé ne retient pas son émotion. Ce soir il a vu le déroulement de toute sa vie et le combat impitoyable qu’il a dû mener pour réconcilier en lui les aspects opposés de sa personnalité. Le petit Gilbert ressuscité retrouve son innocence et triomphe de ce Jules isolé dans un monde de vautours contre lesquels il doit se défendre pour sauver sa vie. Ce soir il a eu la révélation de l’amour triomphant de la haine, de l’art plus fort que l’égoïsme, du pardon plus puissant que la vengeance. Il est revenu au lieu où tout commence et tout se termine, où il a sa place, où tout est possible.

S’il n’avait accompli un épouvantable forfait, cette enfant devenue une adulte rayonnante ne serait jamais venue au monde. Celle qu’il aimait y a laissé sa vie, et il a survécu comme un fantôme. Une morte et un zombie ont-ils pu accomplir le miracle qui s’est produit ce soir : une salle entière transportée par la beauté pure de la voix?

Jeanne est assise au premier rang avec Angelo qui partage avec elle ce moment d’émotion; leurs trois petites-filles, Claire, Catherine et Lisa, encadrées par leurs parents, applaudissent de tout leur cœur. Christelle et son mari Sandro sont venus avec leur petit Filippo. Ils savent que les rêves ont guidé l’artiste dans le déroulement de sa carrière et c’est pour eux un témoignage de reconnaissance pour le travail de Jeanne. Souvent, dans des entretiens avec les medias, la chanteuse a parlé de la découverte de sa vocation par l’intermédiaire des messages de l’inconscient grâce à une personne qui l’avait aidée à trouver elle-même leur signification. François qui fait des études de mathématiques tout en continuant à prendre des cours de piano a vécu ce soir un moment inoubliable et il a saisi la main de Jeanne pour lui transmettre son émotion. Peut-être la musique deviendra-t-elle capitale pour lui et lui consacrera-t-il sa vie. En digne fils de sa mère, il compte sur les rêves pour prendre la bonne décision.Lorsque tous les admirateurs de Violetta seront venus la saluer pour lui témoigner leur reconnaissance, elle posera sa tête sur l’épaule de l’homme qu’elle aime et serrera dans la sienne la si petite main de leur fille pour rentrer à la maison. Un jeune homme souriant, aux yeux bruns et aux cheveux noirs marchera à leurs côtés. C’est Daniel, le filleul portugais du chanteur qui est venu étudier le français et vit avec eux depuis trois mois. Il contemple sa « belle-marraine » comme il se plaît à l’appeler, avec une telle ferveur et une telle admiration que son seul regard suffirait à la récompenser de ses efforts.Lorsqu’elle se retrouve dans sa loge, Violetta peut enfin prendre son enfant dans ses bras et lui promettre de passer plusieurs jours avec elle. Giovanni a encore les yeux humides.

« Tu as été magnifique, mon amour. Chantal est fière de toi. »

Aucun compliment ne pourrait la rendre plus heureuse. Cette mère trop tôt disparue n’a jamais quitté son cœur. Elle l’a soutenue, encouragée et guidée à travers les enseignements de celui qui fut son unique amant et qui est maintenant le compagnon de sa fille. Elle est si présente entre eux deux que parfois ils s’adressent à elle pour lui demander un avis. Puis ils reprennent conscience de son absence et retrouvent une énergie nouvelle dans cette complicité qui les unit dans la lumière.

 

Suite et fin: Chapitre 38 Lumière vivante

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