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© 2014-2024 Thierry Villon

Julius se trouve de plus en plus piégé dans les antres du château où ses rencontres successives le laissent de plus en plus sceptique.  Mais  quel est le but de tout cela  ?
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Descendre ou au contraire monter une dizaine de marches ? Tendu à l’extrême, Julius hésite sur la direction à prendre. Un petit bruissement presqu’inaudible, semble lui parvenir d’en-bas, deux paliers au-dessous. Il lui impossible de voir de quoi il s’agit, aidé du seul maigre faisceau de lumière émis par sa lampe. Julius commence sa descente, priant pour ne pas devoir se retrouver face à une mauvaise surprise.

Arrivé sur le palier du bas, il distingue tout d’abord une silhouette qui se dessine sur le mur. En se rapprochant, la forme lui semble si familière qu’il ne peut retenir un cri de surprise : « Papa ? Non ce n’est pas possible, tu es mort, il y a plus de 30 ans ! C’est un cauchemar, un fantôme, au secours ! » De toutes ses forces, Julius voudrait s’enfuir, revenir en arrière s’il y parvient. Mais ses jambes tétanisées refusent de bouger. Immobile, il fait face à cette personne qui fut son père, les contours du visage un peu flous, son béret habituel sur la tête, vêtu de son blouson de simili cuir et de ses salopettes de travail, un sourire aimable au coin des lèvres, ce ne peut être que lui. Quand il ouvre la bouche, Julius doit s’appuyer contre la paroi du couloir pour ne pas tomber, tant cette voix lui a manqué durant toutes ces années :

– Alors fiston, on ne reconnaît plus son papa ?

– Comment est-ce possible, ces choses-là n’arrivent pas, tu ne peux pas être là !

– C’est bien moi, pourtant…

Sa vue se brouille, tant les larmes lui jaillissent des yeux. Après qu’il les a essuyées, plus personne dans le couloir, son père a disparu. Il s’assied sur une marche de l’escalier et tente de reprendre ses esprits.

La fugitive rencontre qu’il vient de vivre l’a secoué à un tel point qu’il en tremble de tous ses membres, son cœur palpite à tout va. Il lui semble que tout un pan de son passé lui revient en pleine figure en quelques fractions de secondes.

« Il avait 18 ans à peine et venait de s’enfuir de chez lui, sans rien dire. Il avait profité d’un peu d’argent patiemment mis de côté pour l’achat d’un instrument de musique. A la place, il s’était payé une escapade, d’autres diront plus tard que c’était une fugue. Il savait que sa mère devait être terriblement inquiète. Il avait craqué sous le poids de la tâche que son père lui avait confiée quelques heures avant de mourir. Il le revoyait sur son lit d’hôpital, le teint livide, la respiration haletante, sous une tente à oxygène. Julius souhaitait de toutes ses forces qu’il reste en vie. Son père lui avait parlé gravement, comme quelqu’un qui sait sa dernière heure arrivée. Il lui avait demandé de prendre bien soin de sa mère et de ses deux frères. Il avait acquiescé, même si cela lui avait paru une charge bien lourde. Après l’enterrement, il avait mis toute sa bonne volonté à tenir cette promesse. Mais après quelques temps, ce poids lui avait tant pesé qu’il n’avait pas vu d’autre solution que s’éloigner.

Il était sur le quai d’une gare quelque part en Suisse et il ne savait pas où aller. Tout ce dont il était sûr, c’est qu’il ne rentrerait pas chez lui ce soir-là. L’envie de s’inventer une vie l’avait saisi. Il s’était retrouvé dans un café inconnu, en train de raconter à des inconnus qu’il était metteur en scène de cinéma et qu’il était venu faire des repérages pour un film qui raconterait l’histoire de l’incendie du village dans la montagne. Ceux qui l’écoutaient étaient fascinés, car tous connaissaient ce qui était arrivé là-haut deux ans auparavant.

Le village avait été aux trois-quarts détruits par un incendiaire qui s’était avéré être un mari jaloux. Julius leur avait raconté le scénario d’une belle histoire d’amour improvisée sur l’instant. A son grand étonnement, ils l’avaient pris au sérieux malgré son jeune âge. Puis il avait loué une chambre au-dessus du café. Une fois seul, il s’était pris à penser à sa famille qui devait s’angoisser de ne pas le voir revenir. Pas très fier de lui, il avait pris son courage à deux mains pour téléphoner et les rassurer. Il avait essayé tant bien que mal d’expliquer sa douleur qui ne guérissait pas, cette confiance qu’il avait perdue, cette envie de ne plus rien projeter pour l’avenir, de ne plus se lier à personne, puisque tout ce qui paraissait solide pouvait s’écrouler d’un instant à l’autre. Il avait dit à quel point il se sentait de manière incompréhensible coupable de cette mort et responsable de l’expier lui-même.

Après avoir promis de revenir à la maison, il avait pu enfin laisser ses yeux pleurer tout leur saoul pour expulser la douleur qu’il gardait prisonnière au fond de lui. Il ne s’était pas retenu, laissant son corps être secoué par les sanglots, jusqu’à s’endormir épuisé. Le train l’avait ramené chez lui le lendemain. Il avait promis de continuer de vivre, d’apprendre un métier, de ne pas baisser les bras. Et il avait fait tout son possible pour tenir sa promesse. »

Assis sur l’escalier, Julius ne sait à cet instant précis que penser de tout ce qui lui arrive, s’il est tout à fait réveillé ou endormi et si le cauchemar va s’arrêter tout d’un coup ou au contraire s’amplifier. Pour vérifier, il entre dans le couloir taillé dans la roche. Celui-ci s’arrête après quelques mètres. Il n’y a ni porte, ni tunnel, aucune issue par lequel son père aurait pu disparaître. Etrange rencontre qu’il peine à réaliser tout à fait.

En revenant sur ses pas, il est sur ses gardes : « Qui ou quoi vais-je rencontrer cette fois-ci dans cette cage d’escaliers ? Dans quelle case me faut-il classer l’apparition de mon père décédé ? Pas d’idée. »

Tandis qu’il remonte avec précaution par l’escalier d’en-face, il voit pour la première fois que la surface entière des murs est sculptée de motifs étranges. Il y en a des centaines, voire des milliers : à perte de vue des têtes de femmes, des serpents, des créatures étranges mi oiseau mi poisson, des corps entrelacés, des êtres difformes, des ventres éviscérés, des crânes immenses, des membres, des crocs, des griffes acérées, des sexes, des épées, des boucliers, des machines bizarres, des os, des alignements de crânes d’enfants avec des yeux dans leurs orbites. Le choc que produisent sur lui ces œuvres maléfiques est si énorme qu’il recommence à douter de la réalité de ce qu’il voit. Serait-il victime d’hallucinations ? Il ne lui vient aucune explication au-sujet des sculptures toutes plus terrifiantes les unes que les autres. Qui les a produites et dans quel but ? Son cerveau bouillonne, il transpire tant et plus, sa bouche est sèche, son visage est couvert de poussière, ses yeux lui piquent, il ne comprend pas ce qui lui arrive. Une seule idée le pousse à avancer : fuir au plus vite ce lieu cauchemardesque. La lumière de sa lampe frontale commence à donner des signes de fatigue. Ce n’est pas le moment de manquer d’éclairage.

Après avoir franchi deux rampes d’escaliers vers le bas, il aperçoit dans cet autre couloir, scintillant à quelques mètres de lui une lumière un peu bleuâtre. Il hésite entre deux options : repartir au pas de course dans l’escalier ou avancer vers cette lueur. Elle ne lui semble pas outre mesure menaçante. Il reste néanmoins sur ses gardes et marche vers la lumière bleue.

Ce qu’il découvre alors lui fait pousser un soupir de soulagement.

A suivre au Chap. 4

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Commentaires (1)

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07.01.2017

A quand la suite de cette histoire qui se passe dans les tréfonds du Château de Gruyères? La bonne résolution de 2017: continuer!

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