Créé le: 23.03.2013
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Aujourd’hui
Chaque jour, une merveille, une porte latérale qui s’ouvre sur un autre monde. Faut-il la prendre?
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Les roses d’Equateur
Une surface. On appelle cela une grande surface. Un espace de consommation qui nous consume. Avant même d’y pénétrer, une odeur de fond de frigo vous assaille. Comment se fait-il que malgré tous ces légumes, ces fruits, l’odeur reste morbide. Parce que ce sont des objets morts. Ils sont morts pour nous. Et puis le bruit. Sourd et constant. Pas vraiment dérangeant, mais omniprésent, sans âme. Pourtant il y a plein de gens qui marchent, vivent, parlent. Non, ils ne parlent pas. Ils lisent des étiquettes, tâtent les cadavres bien alignés, pèsent ce qui fut. Leur regard vitreux ouvre le chemin et ferme la conversation. Il y a comme un voile dans l’atmosphère. Je deviens sourd, aveugle, mécanique. Aujourd’hui, en passant devant la pyramide de fleurs aux hormones, soudain, un signe de vie. C’est comme un choc salutaire. Elles sont là, venant de très loin, encore vivantes. Belles, sauvages, indomptées. Les roses d’Equateur. Elles ne ressemblent en rien aux autres fleurs. Elles ont ce cri sauvage, une corolle lourde et pleine, un air provoquant et fier. La couleur est typique. Ce rose légèrement tâché et posé négligemment sur des pétales flétris leur donne un air romantique. Mais de romantique, elles n’ont rien. Leur passé se confond avec celui des indiens qui ont tout vu, tout vécu et que l’histoire a englouti. Elles ont côtoyé les fleurs de la jungle, pavané dans les marchés des Andes. Elles ont aspiré en elles toute la richesse d’un peuple, survécu à toutes les agressions. Leur beauté vient de là et ne cesse de grandir. J’en achète douze, une pour chaque mois de l’année. La vie revient dans mon regard et dans mon coeur. Merci l’Equateur!
Elles sont arrivées chez moi le 23 mars. Nous sommes le 11 avril et elles sont encore ravissantes comme pour me remercier de les avoir tant admirées. Je les ai longuement observées, leur manière de vieillir avec autant de grâce. Les feuilles sont mortes en premier. De façon discrète, elles se sont desséchées lentement en sacrifiant l’eau aux corolles. Les fleurs sont restées de la même teinte rosée que les joues d’une vierge timide. A peine, certaines commencent à pencher un peu la tête en lente agonie, sans lâcher un seul de leurs pétales. Au toucher, elles font l’effet d’un tissu soyeux, humide et un peu tiède. Chacune meurt à son rythme. Certaines plus rapidement que d’autres. Mais aucune, absolument aucune à la nuit tombée n’a tout à fait rendu son âme. D’où vient leur force ? L’une d’elle, proche de la fin, capitule enfin. Curieux et voulant percer leur secret, je tire délicatement un pétale après l’autre, en les empilant sur la table comme une robe de mariée vide. Leur nombre est impressionnant : 40 pétales fidèles, gisant dans un désordre de fin de vie, laissant le cœur à nu. Un gynécée de pistils et d’étamines, humides et gorgés d’eau comme des fruits frais gardant précieusement une promesse de jouvence. Toute la fleur s’est donnée pour transmettre la vie à nouveau. Les roses tiendront encore. Jusqu’à ce que le jour se lève. Peut-être jusqu’au printemps tant attendu. Tenir encore…
LAS ROSAS DEL ECUADOR
Es un mercado. Se lo llama un super mercado. Un área de consumo que nos consume. Antes aún de entrar, un olor de fondo de nevera te asalta. ¿Cómo es que a pesar de todas esas legumbres y frutas, el olor sigue siendo morboso? Y es porque son objetos muertos. Están muertos para nosotros. Y luego está ese sonido sordo. Sordo y constante. No es realmente perturbador sino que es omnipresente, sin alma. Y sin embargo, hay mucha gente que camina, vive, habla. No, no hablan. Leen las etiquetas, tocan los cadáveres bien alineados, pesan lo que fue. Su mirada vidriosa abre y cierra la conversación. Hay como un velo en el ambiente. Me vuelvo sordo, ciego, mecánico. Al pasar ante la pirámide de flores con hormonas, de repente, un signo de vida. Es como un impacto benéfico. Están ahí, vienen de muy lejos, todavía vivas. Bellas, salvajes, indomables. Las rosas del Ecuador. No se parecen en nada a las demás flores. Tienen ese grito salvaje, una corola pesada y llena, un aire provocador y orgulloso. El color es característico. Ese rosa ligeramente moteado y colocado negligentemente sobre pétalos mustios, les da un aire romántico. Pero no tienen nada de romántico. Su pasado se confunde con el de los indígenas que han visto todo, han vivido todo y que la historia engulló. Se han codeado con las flores de la selva, se pavonearon en los mercados de los Andes. Han aspirado en ellas toda la riqueza de un pueblo, han sobrevivido a todas las agresiones. Su belleza viene de ahí y no cesa de aumentar. Compro doce, una por cada mes del año. La vida regresa a mi mirada y a mi corazón. ¡Gracias Ecuador!
Merci à Diana Barragàn pour la traduction en espagnol
Le Motel de Founex
Ci-gisait le Motel de Founex. Pendant plus de quinze ans, ce bâtiment voué à une démolition lointaine, se dégradait peu à peu. En premier, ce furent les vitres, brisées les unes après les autres par des cailloux égarés. Puis, les murs se recouvrèrent de graffitis. Le panneau indiquant la boîte de nuit, se détacha et pendait tristement à ce qui restaient de clous. Puis le végétal repris le dessus, les arbres devinrent resplendissants, le lierre recouvrit la laideur lépreuse du béton malade et la réception disparut sous les herbes. Le parking sauvage devint une habitude, car les vacanciers du week-end laissaient leur voitures le temps d’un week-end. Des bouteilles vides jonchaient l’escalier menant aux chambres jadis fréquentées par les amants de passage. Un jour, une main invisible construisit un grand tas de graviers pour empêcher les voitures de parquer. L’endroit devint de plus en plus désafecté, bien visible à la sortie d’autoroute de Coppet. La destruction commença. Des machines vinrent se relayer pendant des mois pour démonter, détruire, trier minutieusement chaque mur, pierre, vitre comme on achève des soldats blessés. Désamianteurs, bûcherons, ouvriers, ferrailleurs… une multitude d’hommes fourmis invisibles rassemblèrent des tas de matières diverses organiques, minérales, synthétiques à évacuer. Ce paysage de pyramides demeura encore des semaines. Ne restèrent finalement que des collines de sable diminuant sous les rigueurs de l’hiver. Grêle, neige, pluie eurent lentement raison de ces collines dispersées.
Il a tant plu ces derniers jours. De vastes flaques sillonnent entre les tas de sable, faiblement illuminées par un soleil gris. Et là, tout à coup: la vie. Aujourd’hui, un couple de canards nage tranquillement dans une belle flaque d’eau qui leur sert de domicile pour la journée. La saison des amours peut commencer.
La plante
Il ne s’est vraiment rien passé aujourd’hui dont je puisse vous parler. Une journée grise, sans fard, sans intérêt. Sur le chemin du travail, les voitures forment leur cortège habituel, les passants passent, la pluie tombe. Les ouvriers ouvrent pour la troisième fois la tranchée qu’ils ont rebouché l’autre jour, les camions déversent leurs cailloux au bord du trou. Les ouvriers marchent d’un pas lourd et cadencé sur le chemin sans issu qui les mène chaque jour nulle part. Décidemment, tout est morne. Le désespoir me gagne. Cela a commencé au petit-déjeuner: le pain était sec. Par un temps de pluie. Mauvaise augure, me dis-je. La journée s’est déroulée sans incident. C’est fou ! Devant mon ordinateur, un écran où les mails défilent comme la pluie. Les lettres deviennent des gouttes que rien ne semble contrarier dans ce scroll vertical. Gagnés par la contagion, mes collègues ne disent rien. A peine un «bonjour» comme un dernier souffle. A midi au restaurant devenu soudain crasseux, le sol est maculé de pluie boueuse et dans l’air, cette odeur typique des pardessus mouillés et des parapluies qui suintent. L’assiette est froide. Il ne se passera rien aujourd’hui. L’heure arrive, qui me projette à nouveau dans le trafic. Les façades ont changé de couleur, de gris claire à gris foncé, trouées de vitres noires sans expression. J’évite lâchement ma voisine qui promène son chien transis de froid, pour éviter de parler du temps. En entrant dans mon immeuble, je remarque la plante. Autrefois, elle ornait mon salon, déployant de luxuriantes feuilles qu’un jour une décoratrice sans cœur m’a fait couper. Depuis ce jour, n’ayant pas le courage de la jeter dans la rue, je la vois dépérir, la conscience honteuse, depuis cinq ans dans l’entrée de l’immeuble en espérant qu’un voisin l’adopte. Aujourd’hui, je décide de la reprendre pour lui rendre son bonheur perdu.
La Dame aux fleurs de Cornavin
A la gare, les voyageurs trottent de leur pas stressé dans le long couloir qui mène d’une voie à l’autre. Il est toujours trop tard, n’avez-vous pas remarqué? Il faut toujours soit se hâter, soit poiroter. Le rythme imposé par une gare est, par essence, inhumain. Dans ce va et vient mécanique, une silhouette immobile et familière: la Dame aux fleurs. Si immobile avec ses trois roses dans la main, qu’elle a l’air d’une statuette rare, égarée par un transporteur de rêves. Son sourire triste et son regard fixe ont été formés il y a bien longtemps. Elle est si menue et pourtant, pour être là, jour après jour, nuit après nuit, sa fragilité ne doit être qu’une apparence. Elle a vécu tant de choses. Il fut un temps où plus jeune… mais a-t-elle vraiment été jeune… Elle vendait ses fleurs dans les bistros, se déplaçant sur son vélo. Ses roses (encore des roses…) étaient fraîches et sa présence bien accueillie. Ses joues ont toujours ressemblé à des pommes bien rondes et lisses. L’expression de son visage aussi mystérieuse que sa vie. Puis, la concurrence est devenu plus forte sur le marché des vendeurs de romantisme. Absente un certain temps, elle revint et nous raconta qu’elle avait été agressée, ses fleurs saccagées, sa bourse volée, son visage tabassé. Une fois, un monsieur lui avait acheté 3 belles roses, et puis, il les lui avait offert, disant: “Elles sont pour vous, chère Madame”. Sa silhouette a continué a fréquenter les bistros, puis le territoire s’est rétréci pour se cantonner au périmètre de Cornavin. Dans les couloirs, au moins, elle est à l’abri de la pluie, mais pas du temps qui passe. Parfois, les dames des Amies de la Jeune Fille, lui apportent un café, lui offre un espace de repos dans leur local bien douillet. Son dos s’est courbé, son corps s’est fripé, elle est devenu presque transparente pour mieux filer entre les âges. Aujourd’hui, elle tient trois roses dans la main. Elles lui ressemblent, toutes fanées. Puis un jour, elle disparut.
… Ont la tristesse de faire part du décès de…
Peu importe les circonstances, chaque défunt a son heure de gloire dans les pages du Mémento. Chaque annonce en dit long sur la vie de cette personne. D’abord le nom. Parfois précédé d’un Madame ou Monsieur. Certains n’ont pas de nom. Surtout les femmes âgées. Elles sont la Madame de quelqu’un : Madame Louis Michel, et en tout petit «née Dupont» ou alors «dit Tati». Chacun est cerné par une famille plus ou moins longue qui a mis des heures à trouver l’ordre des noms, les liens, ceux qu’on hésite à mettre, mais bon, ils font partie de la famille malgré tout. Les petits-enfants ou les enfants petits ne sont pas nommés. Ils accompagnent juste les parents pour faire bonne figure. Quoi qu’il en soit, tous sont dans la tristesse, la profonde tristesse, l’affliction, la douleur. L’ardoise du passé est effacée comme un pardon ultime. De la mort on ne saura rien. Certains sont «enlevés», d’autres s’endorment ou s’en vont paisiblement. « … nous a quitté …» comme s’il l’avait fait exprès.
Ce qui est frappant, c’est de constater que la lutte des classes persiste. L’annonce bien visible, qui a coûté sa surface d’espace, comme si on avait mesurer l’importance accordée à ce défunt. En voilà un justement: l’annonce est imposante et tous les noms des membres de la famille sont en majuscules pleines de particules, mais sans liens mentionnés avec le défunt. Ce dernier tient en une phrase tout en bas: «Leur chère soeur, tante, belle-soeur et cousine». Pas d’époux? Ils se disputent certainement encore. Colette ne parle pas plus à sa belle-soeur Manolita qui a épousé Xavier. Ils ont eu de beaux enfants alors que Colette ne pourra jamais en avoir… Je délire. D’autres n’ont pas cette chance. Ils disparaissent dans des colonnes anonymes des «convois funèbres».
Certains meurent plusieurs fois. Mais c’est réservé à des personnes très très importantes. Leur nom figure plusieurs fois sur la page ne laissant que peu de place aux morts ordinaires. Ce n’est pas qu’ils sont davantage aimés. C’est le dernier moment pour montrer l’importance de paraître à leur côté, en toute bonne foi. Salués par les associés qui déplorent la perte de «leur très cher ami et associé», les collaborateurs qui font part de leur «sympathie» envers la famille, les confrères hautement scientifiques qui n’ont pas su vaincre la mort… Ces morts là, peuvent parfois mourir deux jours de suite dans les quotidiens! Faites l’exercice: chaque fois que vous lisez le carnet de deuil, vous avez l’impression de les connaître tous ces gens. Les noms sont familiers et pourtant vous ne les connaissez pas. Taquine, la Faucheuse. Sous la colonne des convois, les pharmacies de garde, les urgences, les permanences. On ne sait jamais. Si on peut sauver quelqu’un… pas d’excuses. Quelques photos de ceux qui n’arrêtent pas de mourir, qui restent dans le souvenir des vivants inlassablement, cinq ans, dix ans après. Comment peuvent-ils reposer en paix ceux qu’on ressuscite à tout bout de champ?
Et pour finir surtout pas de fleurs. «En lieu et place des fleurs, un don peut être adressé à… ». C’est la mort des fleuristes cette requête! Et pourquoi pas les deux: des fleurs ET un don.
Aujourd’hui, une personnalité en lettres majuscules: VEUVE. Une femme qui a su, pendant toute sa vie, capter sur sa pellicule le quotidien qui s’écoule puis s’arrête. Un nom qui porte en lui tout le destin d’une vie de femme. Etrange coïncidence de le trouver là, aujourd’hui.
Le trajet de bus à 20 centimes
Tout fout le camp peut se traduire par «Le temps passe». Il y a l’avant et l’après de toutes choses, des souvenirs, des gens, de mon visage dans le miroir. Avant, il y avait des glaces seulement en été. A Saint-François, une marchande s’installait de juillet à fin août et vendait trois parfums – vanille, framboise et chocolat – sous la forme d’un cône et nous adorions ces trois promesses de soleil et de gaieté plus que tout au monde. Il existait UN seul poissonnier, Mulhaupt. Ce commerçant original et décalé ne devait son salut qu’à la Bible qui avait décrété que le vendredi tous les chrétiens mangeraient du poisson. Il vendait quelques poissons du lac et le saumon fumé, luxe suprême réservé aux occasions spéciales. Les enfants mineurs devaient être rentrés avant 21h. Ils buvaient du sirop, du Sinalco et du Cacolac. L’été étant court, dès les beaux jours, les dames mettaient des chemisiers blancs en dentelles et nous prenions le bus à 20 centimes pour descendre à Ouchy se promener sur un quai rectiligne et donner du pain au cygnes. Il était strictement interdit de fouler l’herbe des parcs de nos pieds. En hiver, les skieurs portaient des vêtements noirs, bruns ou bleu marine. Le monde ne se colora qu’avec l’arrivée de la télévision en couleur qui mit en évidence la tristesse du décor. Télévision convoitée que seuls quelques privilégiés pouvaient regarder. Ainsi, nous montions avec ma grand-mère, les samedi soirs chez ma grande tante pour partager une soirée télé en mangeant des biscuits. Une expédition qui sentait l’aventure, l’exotisme et Holiday On Ice. Cinquante ans plus tard, je regarde un écran pour téléphoner, tutoie des étrangers sur internet et mange des fraises en hiver. Aujourd’hui, j’ai acheté une poêle à frire à la Poste.
Les seins ne mentent pas
Mes seins l’ont vu en premier, comme des canons pointés sur un danger. J’ai su en croisant brièvement son regard que j’étais en danger d’amour. Je n’aurai jamais dû venir à cette soirée. Tout se passait mal dans ma vie: un divorce douloureux, le néant existentiel devant moi. Les vacances d’été n’arrangeaient rien. Trop de temps pour réfléchir, fermenter, imaginer les pires scénarios. De peur de passer encore une soirée à ruminer, je m’étais forcée de m’habiller (moche) et de me rendre à cette soirée d’anniversaire. Un effort gigantesque malgré une petite voix qui me disait de rester à la maison, de ne pas bouger, de regarder les idées noires passer devant l’écran de mes désirs inexistants. Des amis des amis étaient là à rire et s’amuser, alors que je me réfugiais dans un verre d’alcool. Lui, pareil. Tout fraichement sorti d’un accident qui le rendait provisoirement sans mobilité, il regardait parler personne. Malgré tous les efforts pour l’éviter, nos regards se croisèrent et ce fut l’impact. Tous les refus, les possibles, les espoirs et désespoirs se disputèrent la priorité. Un message collatéral traversa mon esprit «Attention, c’est pour toi». Je compris «Attention, ce n’est pas pour toi». Je me glissa petit à petit loin de lui pour ne pas faire de vagues, ne pas respirer de crainte qu’il ne m’entende. Je n’avais vraiment pas besoin d’un problème de plus, surtout avec ses béquilles. Il feignit de parler à n’importe qui, sauf à moi, ce qui me soulagea et m’irrita à la fois. Mais ce n’était que cercles d’approche, comme le requin qui cerne sa proie. Finalement, acculée, il me parla de rien pour tout savoir de moi. Normal. Une proie, c’est le centre d’attention. Je commençais à me détendre en me disant que «même pas mal» après tout. J’avais un peu exagéré son importance, que j’échapperais. Puis, il se tourna vers une femme qui semblait ravie de le retrouver, me laissant là. Qu’avait-il à lui dire à cette perruche ?!
Voyant la place libre, son ami J. la prit d’emblée pour tenter sa chance. Une proie n’a pas besoin d’agiter de drapeau rouge pour attirer l’attention. Quel barbant discours ! Quel jeu de séduction évident et de mauvaise qualité ! Surtout quand l’autre, plus fin, plus subtil, s’en est allé. Rien de pire que le vide meublé d’une absence. J. parlait de lui-même sans laisser aucun espace de silence pour me laisser respirer. Une planète «MOI», signe évident de manque d’intérêt pour toute autre planète.
Une seule chance de m’en sortir: me lever et partir. Ce que je fis prétextant une autre relation de la soirée – Madame Machin – que je n’avais pas vu depuis longtemps. Cette dernière, toute heureuse que quelqu’un lui adressa la parole, me la prit aussitôt pour me présenter sa planète «MOI» toute aussi peu intéressante que la précédente. Au moins, j’étais sauvée pour l’instant, éloignée des paroles gluantes de J. La soirée avançait et n’évoluait guère. La pensée «Mais qu’est-ce que je fous là?» traversa plusieurs fois mon esprit comme une onde de mauvaise augure et je décida mentalement de mettre un terme à ma présence. Comme par magie, ceci le fit revenir et mon «MOI» s’effaça devant son regard si profond. Quelques banalités délicieuses plus tard, je pris congé de mes amis pour fuir le flux d’émotions contradictoires et déroutantes qui me submergeaient.
Je décidai que je ne ferai rien, mais alors RIEN, pour encourager une quelconque relation avec ce monsieur. Aujourd’hui, cela fait plus de vingt ans que nous sommes ensemble.
Et pourtant… elle respire.
Il fait nuit. Au volant de ma voiture, je suis les quelques âmes qui roulent à cette heure tardive, jouant des phares silencieusement, répondant aux sémaphores de route comme dans un ballet bien orchestré. Certains rentrent chez eux comme moi. D’autres fuient le jour et tout ce qu’il représente d’incertain. La nuit est tellement plus sereine.
J’ai l’étrange sensation que ce n’est pas moi qui me déplace, mais les façades des immeubles qui défilent. Ils dorment depuis longtemps. Au centre-ville, les lieux ont été désertés. Les façades de verre, si sombres, comme pour contrarier cette tendance excessive à la transparence. Tout se doit d’être transparent. Au lieu d’en voir la luminosité, ces façades de verre ne révèlent que des bureaux laids chargés de dossiers éphémères, des écrans d’ordinateurs éteints et tant de fils électriques qui coulent le long des bureaux se jetant dans le vide pour relier rien à rien. Les poubelles, transparentes elles aussi, débordent de papiers inutiles attendant d’être évacués comme des collaborateurs licenciés. Tant de parois lisses et froides me glacent. Béton, métal, verre, métal, béton… l’homme est en train de minéraliser la terre avec méthode et conviction, kilomètre après kilomètre, s’enterrant lui-même finalement. L’intérieur de l’immeuble, vidé de ses occupants diurnes, est illuminé par une faible lumière de circonstance, sécurité oblige. J’ai passé tant de fois devant ces vitres toutes impeccablement propres… et soudain, aujourd’hui, je remarque au troisième étage, une vitre. Une seule vitre pleine de buée. Derrière, une plante. Une seule plante qui respire encore, ses feuilles collées contre le froid du verre.
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Webstory
03.05.2015
Faites des liens sur Webstory: Clin d'oeil d'un webwriter à l'autre, d'une histoire à l'autre... retrouvez "Le chagrin des roses" de webwriter Premium © Thierry Villon
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